Pas économe de mots

L'information économique n'est pas un sujet facile : rencontre avec un journaliste aguerri.

 

Il sait capter son auditoire, alternant exemples de terrain et réflexions pertinentes. La gestuelle suit le discours, mains jointes vers le haut pour la réflexion, doigts tendus vers l'avant pour convaincre.

Assis, la tête légèrement en arrière, un calepin toujours sous la main, affable, le verbe percutant, Bernard Broustet, ancien journaliste à Sud Ouest a rencontré l'atelier de L'Observatoire.

 

Itinéraire

« Après des études de droit et Sciences Po, je ne me voyais pas devenir fonctionnaire d’État. Et puis Mai 68 est passé par là. Après quelques papiers envoyés au journal Combat, je découvre le plaisir d'écrire des articles. J'entre à Sud Ouest en 1973, j'y resterai 40 ans ». D'abord localier, puis affecté aux reportages de politique intérieure et extérieure (en particulier au Moyen-Orient) de1977 à 1983. Malheureusement, par manque de moyens du journal, sa vocation de grand reporter est contrariée, son dernier reportage date de1989. Il trouve l'opportunité de glisser vers l'économie et devient pigiste pour Les Echos pendant 20 ans et responsable de la rubrique économie à Sud Ouest.

Déontologie

La pratique de ce métier procède d'un long apprentissage où la démarche est différente selon l'expérience. Il faut savoir doser l'écoute, éviter l'agressivité, néanmoins être ferme, avoir la volonté et les moyens de croiser les sources rapidement (internet, comptes de l'entreprise, contacts syndicaux). Il s'agit de ne pas être prisonnier du message de la commande et de nouer une relation de confiance réciproque. À l'incise d'une question sur la manipulation, Bernard Broustet argumente :

« Bien sûr que la manipulation du journaliste existe ! Hélas! Mais il s'agit moins de manipulation que de tenir un fil, si ténu soit-il, dans une relation de confiance pour alimenter ses informations »

La métaphore de l'alambic nous paraît ici pertinente pour illustrer le travail du journaliste en économie : abondance de notes, beaucoup d'informations pour en distiller une, solide, de qualité, vérifiée, accessible au lecteur. C'est la noblesse et la servitude du métier. À ce titre notre interlocuteur évoque avec émotion et conviction la couverture du conflit à la Sogerma. En mai 2006, EADS envisage la fermeture de sa filiale Sogerma pour pertes colossales, soit 1 000 emplois en jeu. Activité sensible de la Défense, la découverte de la vulnérabilité de l'entreprise entraine une succession de présidents et l'intervention du premier ministre (de Villepin). Le conflit dure plusieurs mois ! Dans ce contexte, il fallait chercher l'information auprès des syndicats pluriels, de la direction, des cadres, des politiques tout en gardant son intégrité.

À la question sur la liberté du journaliste par rapport à la ligne éditoriale, il répond sans ambages :

« Autant à Sud Ouest qu'aux Échos, j'ai toujours travaillé, dans l'essentiel de ma vie professionnelle, avec une grande liberté mais il faut une information la plus complète possible et sérieuse. »

 

Évolution, mutation

Sud Ouest a traversé ces dernières années des mutations importantes : déménagement, nouvelle maquette, devenir du tirage papier. « Lorsque Sud Ouest était rue de Cheverus, il était au cœur de la ville, à dix minutes à pied de la mairie, à un quart d'heure du conseil départemental et du conseil régional. Il n'était pas rare de rencontrer en chemin un élu, un dirigeant, une personnalité de la société civile. Le journal était le poumon du quartier. Aujourd'hui, la rédaction et l'impression sont rive droite, loin des arrêts du tram, dans des bâtiments sécurisés... Autre temps ! »

« Il est difficile à un professionnel de la presse écrite de se séparer du support papier. Bien sûr, j'utilise internet ! Mais tenir un journal ! Un journal, c'est un rythme, une scansion de papiers courts et longs, c'est une couleur d'encre, l'alternance texte/dessins/photos. C'est du vivant, la nouvelle maquette me plait, après son peignage elle présente un assez bon équilibre. L'organisation de la mise en page fait partie de l'ADN du journal ».

« L'arrivée du numérique, c'est la disparition annoncée des tirages papier ! À quelle échéance, on ne le sait pas. Impression et diffusion ont un coût exorbitant. Déjà, dans la presse anglo-saxonne, le numérique a supplanté le tirage papier. »

La rencontre se termine sur l'évocation d'un ouvrage à paraître d'ici peu concernant un édile local à l'ambition nationale, mais là commence un autre destin, celui d'écrivain...

 

 

Jean louis Deysson