Le Bauhaus à Bordeaux

De quelle audace ont fait preuve l’architecte Claude Ferret, ses deux élèves Yves Salier et Adrien Courtois ainsi que le jeune maire de Bordeaux, Jacques Chaban-Delmas, pour offrir aux pompiers une caserne fonctionnelle et moderne, en rupture totale avec l’architecture classique de la ville !

La caserne de la Benauge (photo M. Depecker
La caserne de la Benauge (photo M. Depecker

  À deux pas du pont de Pierre, à l’angle du quai Deschamps et de la rue de la Benauge, le lieutenant chef de garde accueille L’observatoire devant les hautes portes de garage. Il connait bien sa caserne puisqu’il y travaille depuis bientôt 40 ans et il aime parler de son architecture. Il sourit à la pensée de tous ces visiteurs qu’il reçoit, architectes, touristes, journalistes, lycéens… Pourquoi cet engouement ?


Une architecture hardie

Posée sur la rive droite, face à la majestueuse et exceptionnelle façade du 18e siècle bordelais, cette caserne insolite fut édifiée entre 1950 et 1954. L’architecte Claude Ferret, encouragé par ses élèves et le maire de la ville, s’inspire de l’école fonctionnaliste du Bauhaus* et de Le Corbusier pour la concevoir : la forme suit la fonction. L’édifice est d’abord conçu pour le travail des pompiers. Des verticales, des angles droits et des lieux de circulation totalement ouverts et lisibles, pas d’ornements, des matériaux à l’état brut. Les bâtiments sont ordonnés autour d’une cour intérieure ; un immeuble résidentiel, séparé du sol par d’immenses pilotis qui encadrent les garages ; des escaliers en colimaçon qui débouchent sur une large coursive et des mats pour dévaler rapidement jusqu’aux véhicules d’urgence ; une tour avec ses hublots permettant de sécher les tuyaux, aujourd’hui simple tour d’exercice. Un gymnase, une aile pour les bureaux et la restauration ferment la cour. Les lignes rigoureuses et les rondeurs fonctionnelles n’excluent pas la fantaisie des couleurs, jaune, rouge et des symboles maritimes. La caserne est comme amarrée au bord de fleuve.

 

Toujours fonctionnelle

Aujourd’hui, 240 pompiers interviennent au service de la population de Bordeaux rive droite, des communes voisines et du quartier Saint-Jean. Les 2/3 sont des professionnels, deux femmes seulement parmi eux, les autres sont des volontaires appelés en renfort. Ils font en moyenne une trentaine d’interventions par jour, plus la nuit que le jour, en particulier le samedi où ils doivent se rendre régulièrement Quai de Paludate pour des bagarres ou des faits liés à l’abus d’alcool.

Leur activité s’est transformée avec l’amélioration de l’habitat urbain : peu d’incendies mais beaucoup de d’accidents de la route, malaises, blessures, dégâts des eaux… les gens savent qu’en appelant les pompiers, ils seront rapidement sauvés d’une situation délicate.

Les journées sont à la fois réglées comme du papier à musique et pleines d’imprévus. De jour comme de nuit, chaque équipe de garde doit en permanence vérifier le matériel, faire des manœuvres d’entrainement, du sport, assurer diverses activités et se restaurer sur place. Mais à tout moment, le bip peut alerter une ou plusieurs équipes et c’est le départ immédiat vers les camions ou véhicules sanitaires pour aller secourir.

 

Vers une autre destinée ?

Mal aimée, trop vétuste, très difficile à entretenir, la caserne se dégrade ; couleurs écaillées, garde-corps rongés par la rouille, escalier de béton effrité… Aujourd’hui seules 9 familles vivent encore sur place. Les appartements sont prêtés pour des activités administratives, associatives, des vestiaires…les artistes Pistolletto et Coppola en avaient fait leur QG lors d’Évento 2011, enchantés par la vue exceptionnelle sur la Garonne et les quais de la rive gauche.

Que faire de ce paquebot ? Il sera bientôt déserté par les pompiers, ils vont migrer vers le pont Saint-Jean. La nouvelle vie du bâtiment, classé patrimoine du XXe siècle, a été confiée à l'école hôtelière de Lausanne.


Marie Depecker

*Le Bauhaus est une école allemande d’architecture et d’arts appliqués du début du XXe siècle