Tourisme tous risques

L’émotion suscitée par des œuvres d’art peut provoquer des réactions psychosomatiques.

 

 

Par Danièle Garde

L'Acropole à Athènes, photo de R. Peuron

 

Trop plein de beauté lors de la visite d’un musée, insondable décalage avec les habitudes de vie dans un pays étranger, dimension religieuse extrême d’une ville sainte, trois situations qui peuvent provoquer un choc esthétique ou culturel et la survenue de symptômes variés et imprévisibles. C’est le syndrome de Stendhal. Sa gravité peut être telle que des antennes spécialisées existent dans certains pays pour accueillir les patients qui en sont frappés.

 

Cette affection a été décrite pour la première fois en 1979 par une psychiatre italienne, Graziella Maghérini1 qui, ce n’est pas un hasard, exerce à Florence. Elle décrit plus de cent cas similaires parmi les touristes en vingt ans de pratique. Lors de la visite d’un des nombreux musées de la ville, l’émotion, l’extase, l’illumination suscitées par les tableaux et sculptures provoquent chez certains, des manifestations psychosomatiques : vertiges, accélération du rythme cardiaque, contractures musculaires. Ces réactions, poussées à l’extrême, entraînent parfois des tentatives de destruction de tableaux ou des formes cliniques plus inquiétantes. Les gardiens de musée florentins sont formés à la prise en charge de ces pathologies touristiques. En 2008 devant le monumental David de Michel-Ange, un touriste qui le contemplait tombe évanoui.

 

Battements de cœur 

C’est Stendhal qui, le premier, fait état de ce risque de choc psychologique dont il avoue avoir été victime. Lors de la visite de la basilique Santa-Croce à Florence en 1817, il décrit ainsi ses ressentis2 : « J’avais un battement de cœur, la vie était épuisée chez moi, je marchais dans la crainte de tomber, j’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux-arts et les sentiments passionnés. » Il est patent que l’écrivain était un féru d’art pour qui « la beauté n’est rien d’autre qu’une promesse de bonheur ». Plus tard, ces réactions propres à cette ville seront nommées le syndrome de Stendhal. Mais cette affection émotionnelle en a touché d’autres et non les moindres.

 

Ainsi Freud lui-même relate un souvenir dans une lettre adressée à l’écrivain français Romain Rolland en 1927. Ce souvenir remonte à 1904 lors de son voyage à Athènes avec son frère cadet : « Je suis sur l’Acropole et je ne peux y croire. » Freud explique vivre ce qu’il nomme « un sentiment d’étrangeté », proche de la dépersonnalisation car en lui, une dualité s’installe, mettant aux prises celui qu‘il croit voir et son opposé. Dans sa lettre, il tentera d’en comprendre le mécanisme sans toutefois y parvenir.

 

David de Michel-Ange, photo R. Peuron

Délires mystiques

D’autres lieux dans le monde provoquent chez certains touristes des manifestations inattendues. Ainsi à Jérusalem, chargée en symboles religieux, certains motivés par leur foi se retrouvent confrontés à une réalité qui n’est pas à la hauteur de leurs croyances. On observe alors des délires mystiques. En Inde, le décalage avec le mode de vie occidental fait parfois perdre ses repères au voyageur. Régis Airault, psychiatre en poste au consulat de Bombay, décrit dans son livre3 des décompensations en lien avec la vue de la mort.

 À Paris, ce syndrome atteint souvent le touriste japonais pour qui, dans l’imaginaire collectif, la ville-lumière est une cité d’un romantisme absolu. La réalité des rues parisiennes n’est évidemment pas toujours à la hauteur de leurs rêves. Un service de consultation voyage existe à l’hôpital Avicenne de Bobigny.

Toutes ces manifestations, souvent invalidantes, rentrent dans l’ordre une fois le touriste revenu à domicile. Il n’y a pas qu’une seule explication. Chaque personne dans son rapport à la beauté, à l’histoire, à la croyance, à son environnement, construit des représentations, des attentes qui, confrontées au réel, provoquent un trop plein d’émotion. Restant sans voix, c’est la voie du corps qui l’exprime.

Nous voilà prévenus.

 

1Le syndrome de Stendhal Éditions Chiron

2 Rome Naples Florence Éditions Delaunay

 

3 Fous de l’Inde Éditions Payot