Notes de lecture

Pourquoi l'humanité parfois sublime est-elle capable de barbarie ?

Neige de Maxence Fermine*

 

 

 

 

Yuko a 17 ans , vit au nord du Japon et a deux passions : les haikus ces courtes poésies de 3 vers et 17 syllabes et la neige qui est un poème « tombant des nuages en flocons blancs ».

 

Contre la tradition familiale, il veut être poète et écrire pour l’Empereur.

 

Il écrit 77 haikus par hiver, le reste de son année est « immobile et parfumée ». L’Empereur lui envoie son poète  attitré accompagné d’une femme éblouissante et férue de poésie : ils incitent Yaku à perfectionner son art « merveilleusement beau mais si blanc ». Il part vers le Sud chez le Maître Soseki qui détient l’art absolu ; dans ce périple à travers les « Alpes japonaises « il croise la mort et un fantôme de glace. Soseki, vieillard aveugle lui enseigne la peinture, la chorégraphie, la musique et la calligraphie de l’âme. Il lui apprend  la couleur et en plus l’art du funambule car « écrire, c’est avancer mot à mot sur un fil de beauté ».

 

La beauté, la neige, la mort, l’amour tout tient à un fil. Yuko repart chez lui dans ce Nord où il neige 6 mois par an.

 

Ce livre léger comme une plume se lit comme on déguste un grand cru, à toutes petites gorgées. On le fait tourner en bouche et on en apprécie le moelleux , la rondeur ou la force.

 

Ce savoyard écrit avec un pinceau de soie, distille des phrases courtes et épurées, ses images s’imposent immédiatement comme si Yuko les  posaient sur le parchemin sous nos yeux « un matin de soleil sale, un papillon se posa sur son épaule et y laissa une trace étoilée et fragile que lava la pluie de juin ».L’obsession de Yuko pour la neige nous fascine, nous ensevelit sous une couette de mots d’où nous écoutons les flocons tomber

 

Une pure merveille. 

 

« Rien que du blanc à songer « ( Rimbaud)

 

 

Edith Lavault

 

 

 

 

*Maxence Fermine est né à Albertville en 1968 ,vit à Grenoble puis à Paris où il commence des études de lettres il part pour l’Afrique tombe amoureux du désert Il vit maintenant en Savoie avec femme et enfants. Il a publié à ce jour 23 livres dont plusieurs ont été primés comme « Amazone. »

 

Bakhita de Véronique Olmi

 

 

 

« Elle ne sait pas comment elle s’appelle. Elle ne sait pas dans quelle langue sont ses rêves. Elle se souvient de mots en arabe, en turc, en italien, et elle parle quelques dialectes. Plusieurs viennent du Soudan, un autre de Vénétie. Les gens disent un mélange. »

 

C’est ainsi que commence le roman, c’est l’histoire d’une petite fille, enlevée à 7 ans dans son village du Darfour, arrachée à sa famille pour être vendue comme esclave. Ses négriers musulmans l’appellent par dérision et sadisme Bakhita « la chanceuse » alors qu’elle va vivre une marche harassante dans le désert du Soudan pour rejoindre un grand marché aux esclaves. Elle subit des conditions de vie inhumaines chez plusieurs maîtres, la soif, la faim, l’épuisement, la douleur des coups, des tortures jusqu’à ce qu’un consul d’Italie l’achète et accepte de la ramener dans son pays. Elle devient domestique en Vénétie et fait une rencontre décisive. « Dans cette lutte permanente, cette vie d’adaptation et de grande honte, le premier homme après son père qui l’aimera vraiment. Cet homme sur sa route, comme une étoile tombée du ciel. » C’est le régisseur de ses maîtres qui va lui permettre de se libérer de son statut d’esclave.

 

Des phrases courtes, percutantes nous font vivre toutes les émotions de Bakhita : on marche péniblement avec elle, on sent les coups, on a mal, on ressent l’injustice, la révolte, mais aussi son envie de vivre, sa compassion pour ceux qui subissent comme elle les plus graves des maltraitances. Et on admire le courage de cette petite fille puis de cette femme qui surmonte des épreuves humainement intolérables. On est bouleversé quand elle puise, dans les quelques souvenirs heureux de son enfance que personne n’a réussi à lui voler, la force de soutenir son amie Binah « Je ne lâche pas ta main » lui dit-elle.

 

Véronique Olmi s’inspire du récit de la vie réelle de Bakhita*, la Storia Meravigliosa, publié en 1931. Lecture poignante mais salutaire car le sujet hélas reste d’actualité : travail forcé, enfants vendus, jeunes femmes mariées de force, enfants soldats, marché aux esclaves en Lybie. Dans sa version dite « moderne », l’esclavage concernerait près de 40 millions de personnes dans le monde selon un rapport publié par l’ONG Walk Free et l’OIT** en septembre 2017 (estimé à 13 millions quand il était légal). Crime caché qui demeure loin des regards, derrière les murs. Le roman de Véronique Olmi ravive notre prise de conscience.

 

 

Marie Depecker

 

* 1869-1947

 

**Organisation internationale du travail