Comme un poisson dans l'eau (Humour)

Quand la passion de la mer emporte tout sur son passage.

C'est dans une poche semblable que ce chalutier a un jour pêché Bernard l'Hermite
C'est dans une poche semblable que ce chalutier a un jour pêché Bernard l'Hermite

 

Un bar bordelais rue de la Maison Daurade, une danseuse, un marin en goguette autour d’un café. Une improbable rencontre entre deux êtres si dissemblables, elle va bouleverser leurs vies.

 

Cap de bonne espérance

Clotilde, petit rat de l’Opéra, devenue danseuse étoile, est jolie, un sobre tailleur met en évidence sa minceur, un chignon un peu fou emprisonne ses cheveux blonds. Bernard L’Hermite, grande perche, mais solide gaillard dans son élégant caban, a un bon merlan, en témoigne son impeccable raie sur le côté. Tout dans l’impertinence de Bernard L’Hermite révèle le dragueur. Bien qu’il la trouve un peu maigre, il admire le port de sirène de cette fille. Pourtant, le marin n’est pas du genre à aiguiser son bec sur un os de seiche, il n’a pas non plus vocation de garde-côtes. Le petit rat n’est pas de ceux qui désertent les navires, il lui plait. Le courant passe entre eux même si pour lui, une aventure doit se terminer au pageot, il déroge à la règle, ils se reverront.

À la troisième rencontre, rassemblant quelques souvenirs scolaires, Bernard déclare sa flamme : « Je vais être Franc Clotilde, je veux être ton Clovisse ! » Amoureuse, elle accepte de partager sa vie avec le matelot à une condition qu’il renonce à la mer, Bernard entre donc à la Poste, mais démissionne rapidement, il ne trouve pas le trimarant. L’homme est fruste, Clotilde entreprend de polir cette matière brute en l’initiant à la culture. Il baille comme une huître à la lecture du Vieil homme et la mer et préfère dévorer l’épaulard. De l’œuvre de Schubert, il ne retient que la Truite et si la Marseillaise l’enthousiasme, c’est parce qu’elle est dûe à un certain Rouget. Ils voient ensemble des films d’Alain Belon, d’Homard Sharif, L’année des méduses. De Cyrano de Bergerac, le marin a surtout apprécié le jeu d’Anne Brochet. Ce n’était pas pourtant la mer à boire, mais Bernard languit, et, malgré la naissance de la petite Océane, il regrette d’avoir jeté l’ancre.

 

Virage de bord

Le nouveau papa fréquente désormais des bouges où se côtoient maquereaux, morues et requins des bas-fonds. Il sort en boîte avec un certain Saupiquet, un barbeau. Il s’adonne à la boisson et prend la Route du rhum. Clotilde fait tout pour l’extirper de panier de crabes. Mais il la considère comme du menu fretin et la mène en bateau. Toutes les cornes ne sont pas de brume, Bernard la trompe avec Claire. Les parties fines de Claire et les passes sur le Bassin sont bien connues. La danseuse exige des aveux, le marin noie le poisson. De matelotes en bourrides, il a transformé leur cuisine en cambuse. L’impétueux amant est devenu un grand dormeur, Clotilde n’est plus sa figure de proue, il n’a plus le vent en poupe. Son univers n’est qu’un immense aquarium. Il y a de la friture sur la ligne, le couple s’engueule comme du poisson pourri ! L’artiste ne veut pas s’aplatir comme une limande, elle se mure dans Le monde du silence, muette comme une carpe. L’ancien marin n’est pas brise-glace, son langage devient maritime, son vocabulaire nautique. Jusqu’à ce jour terrible où Clotilde observe son compagnon dans la salle de bains. Sa démarche chaloupée devevient ondulatoire, une odeur d’iode se dégage de la pièce, des gouttelettes d’embruns se déposent sur la glace. Bernard L’Hermite semble frétiller dans la baignoire, des barbillons se précisent sur ses joues tannées. Elle perçoit des écailles argentées et des embryons de nageoires, une monstrueuse métamorphose. Il la découvre, rit comme une baleine et c’est frais comme un gardon qu’il lui avoue souffrir de la grande arête et s’essouffler des branchies. Cette fois le pas de deux est terminé, les haubans ne claquent plus. Ils sont maintenant face à l’océan, c’est d’une voix de poissonnière à la criée qu’elle hurle : « Cétacé tu peux larguer les amarres ! » Tel un exocet, il plonge dans les flots, fend la première vague et se met à nager, nager, nager…

Les années ont passé, place des Quinconces, le cirque Colette Klus présente L’Homme poisson dans son aquarium géant, un être étrange pêché dans l’océan Atlantique. Clotilde et Océane sont là. Clotilde sait déjà qu’elle va revoir Bernard l’Hermite.

 

Claude Mazhoud