Lettre à Jean-Baptiste Poquelin

Défenseur acharné de notre belle langue, il en réfère à son maître.

 

« Désolé de te déranger au paradis des auteurs de génie mais l’amour de la langue française me contraint à t’adresser cette supplique car, la langue de Molière, celle que tu nous as léguée, si belle, si riche, est en danger.

 

Elle avait déjà subi des infiltrations étrangères, l’Oncle Sam avait bien introduit de nombreux mots dans notre  vocabulaire, or, voici que la langue de Shakespeare commune aux Britanniques et aux Américains, envahit notre quotidien, engendrant de lourds anglicismes.

 

Les causes ? Peut-être un certain snobisme, ton Bourgeois gentilhomme serait aujourd’hui un bourgeois bohème, un bobo en sorte, sans doute un peu de paresse intellectuelle et, enfonçant le clou, l’irruption de l’informatique, de son jargon et de son cortège de réseaux sociaux, Facebook, Tweeter, Google, etc.

 

En fait, l’usage du français n’est pas assez moderne pour le monde de l’Entreprise, l’Éducation nationale semble avoir abdiqué et les médias ne sont pas irréprochables. Pourtant, s’ils ne remplacent pas des mots en français, les nouveaux mots sont utiles à condition qu’ils ne les subrogent pas. Crois-moi, Jean-Baptiste, notre langue n’est pas une malade imaginaire, alors dis bien à William Shakespeare que s’il a apprivoisé une mégère, il ne domptera pas la langue qui porte ton nom. Tes Femmes savantes vont-elles se convertir en Joyeuses commères de Windsor ?

 

Demain, nos salons littéraires seront-ils le théâtre d’échanges dignes de rameurs d’Oxford et de Cambridge sur la Tamise ou bien de paysans du Kent ?

 

J’ai même imaginé, cher Molière, une réunion direction-cadres, je te donne la primeur du discours fictif du chef d’entreprise : « Ce briefing autour d’un brunch fait suite au brainstorming d’hier, ce n’est pas un scoop, notre société, née d’une modeste startup, a une remarquable politique de marketing et de sponsoring. Vous avez fait le job en relevant le challenge et en étant à la pointe du management, parole de boss. Je marche au feeling et le casting était bon quand je vous ai proposé ce deal, managers, designers, coachs, vous avez boosté le personnel, vous êtes des cadres IN ! Certes, on a perdu du monde en route mais le business ne tolère ni losers, ni borderlines, ni épidémies de burn-out sous peine de le payer cash. En restant cool, j’ai pu juguler le lobby syndical dont le leader surbooké voulait faire un one man show. Nous avons résisté au dernier crash boursier, aucun bug n’est venu troubler nos orientations. Ce n’est pas l’heure du break, je vous remets le listing de nos projets, sachez que demain, sur une chaine publique, en live et en prime time, un best off de nos réalisations sera exposé en digest, dans un clip qui sera un best seller dans la publicité.

 

Dès maintenant, go ! L’arsenal habituel, e-mails, newsletters, SMS, flyers diffusera l’information, OK ? Montrons-leur, ce que sont des winners et d’avance, bravo pour le buzz ».

 

Cher Jean-Baptiste, pourrais-tu admettre pareille intrusion dans notre identité culturelle ?

 

Alors, fi du Médecin malgré lui, place à l’urgentiste !

 

Cervantès, Dante, Goethe, pères de leurs langues respectives ne nous posent aucun problème, eux, à toi de convaincre William Shakespeare de prendre du recul afin que l’Angleterre ne redevienne pas la perfide Albion et que le Français qui nous est si cher ne soit réduit à un sabir sans saveur.

 

Emil Cioran a écrit : « On n’habite pas un pays, on habite une langue, une patrie, c’est cela et rien d’autre ».

 

Nous comptons sur ton intervention, sinon après ce fatal 17 février 1673, tu pourrais bien mourir une deuxième fois, Jean-Baptiste Poquelin Molière. »

 

 

 

Un défenseur de la langue française, Claude Mazhoud

 

 

 

PS : Un salut respectueux à Victor Hugo et à Jean Racine, ils ne seront pas de trop dans ce difficile combat.