Il était une fois dans l'Ouest

Le vieux quartier de Kermoysan à Quimper abrite un singulier cinéphile, sa passion dévorante pour les films westerns va s’avérer destructrice.

 

Charly Kerbrat a franchi depuis longtemps le seuil de l’enfance, pourtant cowboys, indiens, Far West font partie intégrante de son existence. Gamin, la découverte des Red Ryder, Kit Carson, Pecos Bill dans des illustrés comme Junior ou Spirou l’enthousiasme. D’autres revues le mèneront à Billy Le Kid, Hopalong Cassidy ou Buffalo Bill. Cette fascination va tout naturellement se prolonger dans les salles obscures.

 

Au Rio Bravo, le whisky coule à flot

Le western devient la religion de Charly, le vieux cinéma Le Cornouaille en sera la chapelle. Le jeune breton retient son souffle quand rugit le lion de la Métro Goldwin Mayer. Il savoure l’instant où, apparaissent à l’écran, la torche de la Liberté de la Columbia Pictures ou la cime montagneuse, auréolée d’étoiles de la Paramount. Surgissent alors ses héros des années 1950/1960, les John Wayne, Kirk Douglas, Robert Mitchum, mais celui qu’il préfère, entre tous, c’est Gary Cooper et sa haute silhouette dégingandée.

La vie quotidienne de Charly est imprégnée de ce culte, sa femme sera Calamity Jane, il prénomme son fils Gary et affuble son chien du nom de Burt. Il reconstitue ainsi, chez lui, le légendaire tandem Gary Cooper - Burt Lancaster de Vera Cruz. L’ambiance des saloons, Charly la retrouve au Rio Bravo, un bar où le cosplay, soit l’art de se mettre dans la peau des personnages, est élevé à la hauteur d’une institution. Là, des John Wayne, James Steward et autres Gregory Peck se pressent au comptoir. Pour les rejoindre, Charly, alias Gary Cooper, a recours à des ruses de sioux pour tromper la vigilance de sa femme. L’en empêcher ? Il faudrait l’attraper au lasso. Au Rio Bravo, le whisky coule à flots jusqu’à des heures avancées de la nuit. Les retours au foyer sont difficiles, Calamity Jane déterre la hache de guerre, on fume ensuite le calumet de la paix, mais très souvent c’est Règlement de compte à OK corral.

 

Des mustangs au galop

Bien des années ont passé, ce jour-là, Charly a sans doute abusé de l’eau de feu. Il se prend à soliloquer devant le poster géant de Gary Cooper qui orne sa chambre. « Salut Gary, tu nous as quittés le 13 mai 1961, depuis tous tes copains ont suivi, le dernier, Kirk Douglas, en 2020. Le western lui-même a disparu, mon vieux cinéma est transformé en multiplexe. Et puis Calamity Jane est partie, Gary junior trace sa route, Burt repose depuis longtemps au paradis des chiens. Je reconnais maintenant que le Rio Bravo n’est qu’un troquet minable et que mon accoutrement était grotesque. Ma panoplie de cowboy sortait tout droit des surplus américains, quant à mon colt il était factice. Je n’ai pas ta dégaine Gary, tu culminais à 192 centimètres quand je plafonne à 168. Les Indiens ? Les seuls que j’ai affrontés, ce sont les apaches de la cité exécutant leurs rodéos infernaux entre les bâtiments. Ce n’est pas un shérif étoilé qui intervient, place à la police municipale. Je rêvais éperdument de respirer la poussière soulevée par des mustangs au galop sur le sol de terres sauvages. Je n’ai connu que les canassons sur lesquels je risquais parfois une pièce. À ces gigantesques troupeaux de bisons, je n’ai pu opposer que ce bison futé bravé le dimanche pour rejoindre mon Buffalo Grill préféré.

À la gare de Quimper, le train n’a jamais sifflé trois fois et Le dernier train de Gun Hill n’est pas près d’arriver.

Pas de quoi se jeter dans l’Odet, mais d’ores et déjà, j’ai rayé de la carte toutes ces contrées mythiques : Arizona, Wyoming, Texas et autre Kansas.

Ces décors hollywoodiens n’étaient que carton-pâte dans l’univers que je me suis créé. Adieu Gary, tu as dû me trouver à l’ouest et pour un amoureux des Indiens, je ne suis vraiment pas une flèche. »

Charly Kerbrat arrache le poster de son idole, jette un dernier regard sur l’imposante pile de Cinémonde et sort de la cité.

Dehors le soleil brille sur la Cornouaille, pour Charly c’est maintenant que débute sa conquête de l’Ouest.

 

Claude Mazhoud