Une paria chez les nonnes

 

Pas de frontières pour les combats d’une femme de lettre engagée. 

Après un long voyage, Flora Tristan, grand-mère maternelle de Paul Gauguin, arrive en 1933 dans la ville d’Aréquipa au Pérou. Elle vient voir son oncle pour tenter de revendiquer l’héritage du côté paternel. Des remous révolutionnaires agitent la ville. Elle est accueillie au monastère San Catalina avec quelques membres de sa famille. 

Et en 1838, elle publie à Paris les souvenirs de son expédition*. Elle y décrit la réalité de cette époque, celle d’un pays en construction. Femme engagée dans la défense des ouvriers et des esclaves, elle donne un point de vue critique, fidèle à ses idées politiques et morales. Elle décède à Bordeaux en 1844.

 

Un village coloré dans la ville blanche 

Flora Tristan note dans ses mémoires : « À l’approche de la ville, après avoir traversé une zone désertique à dos de cheval, je perdis le sentiment de mes souffrances, j’étais émerveillée. » La ville est construite en pierres volcaniques (le sillar) d’une blancheur éclatante. Trois volcans la dominent dont un, le Misti, au cône parfait. Des neiges éternelles couronnent les sommets. À cette époque, 30 000 habitants peuplent la ville : « un quart de blancs, un quart de nègres-métis et la moitié d’Indiens. », précise la voyageuse. 

C’est en 1570, à peine quarante ans après l’arrivée des premiers espagnols, qu’est fondé le monastère. Au départ, des femmes d’origines sociales diverses entrent au couvent pour devenir des religieuses cloitrées qui abandonnent à jamais leur famille. Derrière ses hautes murailles, s’étend un dédale de ruelles aux noms andalous : Séville, Cordoue, Grenade ; des places fleuries, le patio du silence, le cloître des orangers. Les murs aux couleurs éclatantes bleu indigo, ocre rouge participent au recueillement et à la spiritualité. En 1833, le couvent accueille cinq cents pensionnaires : les nones, les servantes et les esclaves. Cette évolution est due à une jeune veuve, doña Alvarez de Carmona, première bienfaitrice qui exige une dot élevée à l’entrée. Les recluses peuvent garder leur train de vie.

 

Étonnement et critiques 

Dans ses mémoires Flora s’exclame : « Quels hourras quand j’entrais ! Douze religieuses, parlant toutes à la fois, criant, riant, écartaient ma robe pour voir comment mon corset était fait. D’autres défaisaient mes cheveux. » Elle s’étonne du faste des lieux et surtout de la façon inégalitaire dont sont traitées les esclaves. Chaque nonne a sa maison, ses dépendances. À cette époque, le Pérou est une jeune république ; les blancs, élite de la société, singent la mode parisienne et asservissent les indigènes. Ce qui est loin de plaire à Flora Tristan déjà en lutte constante. Les réceptions au monastère sont dignes des maisons les plus luxueuses : « nous eûmes de la belle porcelaine de Sèvres, du linge damassé, de l’argenterie des orfèvres les plus réputés, d’excellents gâteaux servis avec du vin d’Espagne dans des verres en cristal. » Elle ajoute : « on ne trouve qu’agitation fiévreuse que la règle captive n’étouffe pas. » 

Outre cela, Flora questionne la religion de l’époque très conservatrice. Les processions pour Flora sont : « burlesques et portent les oripeaux du paganisme. » Hyper sensible, cette femme de trente ans semble très affectée : « je ressentais un vrai chagrin de l’abrutissement de ce peuple. »

À son retour, en 1838, elle fait paraître à Paris Mémoires et pérégrinations d’une paria. Le livre fit scandale dans la communauté espagnole. Son oncle le fit brûler sur la place d’arme d’Arequipa car il se moquait des mœurs de la bonne société péruvienne. Le Vatican, las des excès du monastère envoya une sœur dominicaine Josefa Cardena pour rétablir l’ordre. Les nonnes retrouvèrent leur cellule et les esclaves furent libérées. 

Aujourd’hui une partie du lieu se visite, seules quelques carmélites y résident et vivent isolées.

Danièle Gardes 

Encadré : Des chercheurs de l'Université de Cambridge ont mis en évidence la prévalence de la transmission génétique des grands-mères maternelles à leur petits enfants issus de leur fille. La vie de Paul Gauguin dont la mère, Aline Chazal, était la fille de Flora se ferait-elle l'écho de la vie tourmentée et colorée de Flora Tristan?

 

*Mémoires et pérégrinations d’une paria en consultation libre sur Internet.

Plaque commémorative, 15 rue des Bahutiers, Bordeaux (photo D. Sherwin-White)