L'indépendance des journalistes

Expriment-ils une véritable volonté de recherche de la vérité ou subissent-ils une censure ?

 

Le film Profession Journaliste fait une analyse militante décapante de ce métier. Réalisé par Julien Desprès, il a été présenté en février 2013 par l’association des cinémas de proximité de la Gironde. Un débat a suivi, animé par Henri Maler, maître de conférences en sciences politiques à l’Université Paris VIII, fondateur d’ACRIMED (Action critique médias).

 

Prétendument libres

Selon ce film, la majorité des journalistes estiment exercer leur métier aujourd’hui sans contrainte particulière de la part de leurs dirigeants.

Dans l’exemple de L’ISCPA Paris (Institut supérieur des médias), retenu dans le film au titre de leurs liens avec les grands médias, ils semblent plutôt formatés dès leur enseignement. Ils privilégient généralement leur carrière en choisissant des sujets porteurs sans l’approfondissement nécessaire plutôt que de choisir des sujets sensibles, exigeant une enquête rigoureuse susceptible de heurter les pouvoirs économiques et politiques.

Faute de temps ou de véritable volonté, ils acceptent trop facilement et sans réel questionnement les plans médias qui leur sont proposés par les agences de communication des groupes concernés qui souhaitent une mise en avant de leurs produits ou de leurs projets.

Être invité avec cadeau à l’appui et pris en charge depuis Paris dans des conditions parfois luxueuses est plus envié que rejeté. Le film expose un exemple édifiant, en Bretagne, de la présentation d’une réalisation de Bolloré, avec déplacement depuis Paris en jet privé, une séance de questions limitée à 15 minutes et l’exclusion manu militari du seul journaliste qui pose des questions jugées dérangeantes.

L’origine relativement aisée des journalistes, le confort intellectuel et économique dans lequel s’installent les grandes plumes expliquent-ils ce comportement conformiste regrettable qui empêche une analyse véritablement critique ?

Dès leur sortie de l’école, les petites mains sont le plus souvent inféodées au système. Elles pensent à leur carrière et craignent pour leur emploi, de nombreux candidats attendant que les places de moins en moins nombreuses se libèrent. Sans forcément recevoir des consignes, ils en viennent à pratiquer l’autocensure et progressivement à rentrer dans le moule, d’autant plus facilement qu’ils disposent de moins en moins de temps pour effectuer un travail sérieux.

Cette situation met d’autant plus en exergue les journalistes attachés à tout prix à la recherche de la vérité, en prenant le risque de mettre en danger leur situation et parfois plus pour ceux qui interviennent sur les lieux d’affrontements.

 

Le poids des actionnaires

Il reste encore quelques rares titres libres à l’image de Médiapart et du Canard Enchaîné et des actionnaires traditionnels parfois créateurs de leur journal comme la famille Lemoine pour Sud Ouest. Cependant l’importance de la majorité de la presse écrite et visuelle s’apprécie à l’énoncé des propriétaires qui ont un poids économique prépondérant dans notre pays.

Les difficultés financières croissantes de la presse qui voit le nombre de ses lecteurs diminuer l’ont contrainte à céder les commandes à de grands groupes ayant la volonté d’étendre leurs pouvoirs.

Citons quelques uns de ces actionnaires dont on peine à croire qu’ils investissent uniquement pour aider leur média ! Bouygues pour TF1, Publicis pour M6, Serge Dassault pour Le Figaro, Hachette pour Le Point, Xavier Niel PDG de Free, Mathieu Pigasse et Pierre Bergé, patron de Sanofi, pour Le Monde, Édouard de Rothschild pour Libération.

Tout en déclarant qu’ils laissent libres leur rédaction sur la ligne du journal, ils pèsent de fait sur le contenu avec la complicité plus ou moins consciente des salariés, soucieux de la survie de leur entreprise. Le phénomène est aggravé par le poids croissant de la publicité dans l’équilibre du budget qui joue forcément sur le choix et le contenu des articles qui la favorisent.

 

Le film Profession Journalistes dénonce avec force la dérive des médias dont très peu de titres restent indépendants. L’engagement insuffisant de beaucoup de journalistes est malheureusement le reflet de notre société. La participation très faible à la présentation de ce film témoigne du désintérêt porté à des sujets de réflexion, trop de gens préférant des sujets glamour qui contribuent à inhiber leur conscience.

 

François Bergougnoux