A l'écoute des pagnes

Photos exposées au FRAC Aquitaine et à Mérignac Photographic Festival

Comment une firme néerlandaise, Vlisco, née en 1846 dans l’Europe industrieuse, a façonné le goût vestimentaire de tout un continent.

 

La Hollande possédait plusieurs colonies en Indonésie. La famille Vlissingen produisait des imitations de batik* pour les Indes néerlandaises. Elle ne songeait nullement à vendre ses tissus en Afrique, le canal de Suez n’était qu’un projet, les bateaux en route vers les colonies asiatiques devaient longer l’Afrique et faire escale pour troquer des vivres contre du tissu. C’est ainsi que les six yards (coupon de 5,48 m) se sont acclimatés en Afrique.

 

Haut en couleur

Accrochés aux murs des boutiques comme des tableaux, les coupons en disent tant sur le continent noir qu’on oublierait qu’ils sont conçus, depuis plus d’un siècle, loin de l’Afrique. Richement coloré, le pagne n’est pas seulement un bout de tissu ou un vêtement, il est un moyen d’expression culturelle réunissant us et coutumes, croyances et traditions. Il est offert lors des mariages en guise de dot et renforce les liens qui unissent les membres d’un groupe lors des cérémonies marquant la vie de la communauté ; baptême, mariage ou enterrement. Certains dessins font même l’objet de commande spéciale liée à un événement, il n’est pas rare que tous les reins se ceignent de la tête du chef d’état pour son anniversaire !

On le noue, on le dénoue autour des hanches plusieurs fois par jour pour mieux galber les fesses. On le froisse avec imagination pour coiffer la tête. On en renforce les bords en le roulant pour porter l’enfant dans le dos. On le coud en serrant la taille et en dévoilant un généreux décolleté. Chacun exprime son individualité par une coupe adaptée à son âge et à sa morphologie. Il est toujours à portée des mères pour couvrir l’enfant, le laver, l’essuyer, le moucher.

 

Les motifs parlent

Ces tissus suscitent l’émotion, les femmes projettent sur eux leurs sentiments : jalousie, rivalité, fierté de mère, d’épouse, réussite sociale. Chaque pièce est identifiable:

Une cage avec des oiseaux enfermés et d’autres en liberté : Je sors, tu sors soit à homme volage, femme volage.

Des yeux incrustés sur des vagues : l’œil de ma rivale, « si tu t’approches, tu auras à faire à moi »

Des ongles en vagues : colère, « n’approche pas mon mari ! »

Une poule et des poussins, un coq isolé plus petit : famille.

Des bandes d’yeux alternant avec des bandes de bouches fermées : l’œil voit, la bouche se tait ou l’art du comportement en société.

Une main, des doigts : L’union fait la force

Un carré enfermé dans un losange : le lit de mon mari, il me revient toujours.

Un grand pied, un petit pied : je serai ton ombre.

Ils datent l’histoire : les larmes de Sankara, la ceinture du maréchal, le sac de Michelle Obama. Aujourd’hui les africaines affichent leur autonomie financière en portant un imprimé : dollars.

Ne dit-on pas qu’une femme se reconnaît au nœud de son pagne ? Deux pagnes superposés et le cœur est pris, un seul noué à la taille, le cœur est à prendre, un pagne déchiré signe une déchéance matérielle voire psychologique.

Les couleurs ont également une signification : le blanc évoque la paix ou le deuil, le bleu le pouvoir, le jaune la fertilité, le rouge l’honnêteté.

 

L’Afrique en toile de fond

Mais qui peut s’offrir ces merveilles dans ces pays où la majorité de la population vit avec moins de deux dollars par jour ? C’est sans compter sur la débrouille africaine !...Une pièce de 6 yards coûte environ 150 dollars. Il existe des fabrications locales, moins onéreuses.

Á Helmond, aux Pays-Bas, 950 personnes préparent la prochaine collection**. La firme noue avec les stylistes africains un dialogue aussi complexe qu’inventif. Son PDG affirme « Vlisco n’est pas une marque néerlandaise, c’est une marque africaine ». Des centaines de ballots ficelés dans de la toile de jute sont rangés les uns contre les autres avec, inscrit au feutre le nom, de leur destination : Abidjan, Lomé, Cotonou, Kinshasa, Accra, Londres… Comme autant de chrysalides d’où sortiront bientôt de magnifiques papillons…Qui a vu, au Sénégal, ces silhouettes lépidoptères se découper sur fond de mer au coucher de soleil, ne les oubliera jamais.

 

Paule Burlaud

 

* batik : appelé wax, est un procédé indonésien d’impression par application de cire pour obtenir un effet craquelé qui nécessite pas moins de vingt deux étapes différentes.

 

**Jeter un œil sur la nouvelle collection : Vlisco.com