Humour: le sermon d'Hyppocrate

 

Épidémie, déserts médicaux, crise des urgences, autant de situations qui ne manquent pas d’alarmer les populations de l’Hexagone.

 

 

 

Considérant que les hommes couraient de graves dangers, Hippocrate décida de vérifier par lui-même la véracité d’inquiétantes rumeurs. La descente de l’Olympe sur Bordeaux du père de la médecine, un événement planétaire que L’Observatoire ne pouvait manquer. 

L’Observatoire : La crise de la médecine est-elle la seule raison de votre venue ? 

Hippocrate : J’ai comme devise ces mots de Socrate : « Existe-t-il pour l’homme un bien plus précieux que la santé ? » Or, depuis quelques temps d’étranges mélopées parvenaient à l’Olympe : Allo maman bobo, Je suis malade, Je n’suis pas bien portant, Mon cœur est malade, quand le 7e art affichait : 37,2 le matin, Sept morts sur ordonnance, La fièvre du samedi soir. J’ai décidé d’intervenir. 

Pourquoi avoir choisi Bordeaux ? 

— Le CHU de Bordeaux est réputé pour être le meilleur de France. J’y ai découvert de remarquables structures hospitalières malgré des effectifs insuffisants, la qualité de vos médecins et chirurgiens est indéniable, et s’ils ne sont pas tous épicuriens, je peux rassurer mon philosophe d’ami, ils sont toujours adeptes des piqûres. La belle trinité Saint-André, Haut-Lévêque, Pellegrin, sans oublier Bergognié a peu d’équivalents. Et puis, le bucolique que je reste se délecte à l’évocation des Pins Francs, des Grands chênes, des Cèdres, des Orangers, des Lauriers, j’y respire presque le Jardin des Hespérides. Quant à Bagatelle, j’en parlerai à Épicure ce n’est pas du tout ce qu’il imagine avec sa légèreté habituelle, c’est surtout, en jargon chirurgical, une académie du billard. 

Avez-vous échangé avec quelques patients ? 

— Oui, mais leurs propos m’ont paru incohérents. L’un pensait que le scorbut était une affection de footeux et que la maladie du charbon était due à un excès de consommation de coke, le même affirmait que le coronavirus pouvait provenir d’un abus de bière. Un autre prétendait, qu’après avoir été la coqueluche du service, une infirmière, véritable petite peste, l’avait pris en grippe ! 

Que préconisez-vous pour remédier aux insuffisances constatées ? 

— Les praticiens qui m’ont accueilli ont été unanimes, il faut revoir à la hausse les budgets et ne pas remettre cette mesure aux calendes grecques car le personnel de santé abat un travail de titan. 

— Vous avez loué la qualité de la chirurgie française, avez-vous apprécié d’autres spécialités médicales ? 

— De mon temps, un médecin anatomiste, comme Hérophile, jouissait d’une grande notoriété. Je m’interroge sur votre conception de l’anatomie. Chez vous, on se creuse la cervelle, on a l’estomac dans les talons, on mange sur le pouce, on vend chèrement sa peau, il y aurait fuite des cerveaux, on souffle même dans les bronches. Certains prennent des vessies pour des lanternes, ont un compas dans l’œil et travaillent d’arrache-pied, d’autres se vident les tripes et ont le cœur sur la main. Comble de l’horreur, une petite main peut vivre sur un grand pied. J’ai évoqué cette leçon d’anatomie avec des confrères. Christian Barnard a eu un haut-le-cœur, Louis Pasteur écumait de rage, René Laennec en a piétiné son stéthoscope, Ambroise Paré parle d’abandonner la chirurgie. De quoi effrayer Esculape, dieu de la médecine. 

— Allez-vous lui soumettre vos conclusions ? 

— Bien sûr, aussi je repars ventre à terre vers l’Olympe pour informer Esculape. 

Grâce à Mercure, la Grèce antique a donné le caducée à la médecine et mes préceptes ont permis aux médecins de prononcer le sermon d’Hippocrate. Je le rappelle à vos praticiens : « La santé ne peut être traitée sur la base de ratios exclusivement comptables. » J’encourage donc le monde médical à ruer dans les brancards. Sans doute ai-je pu choquer vos dirigeants avec mes gros sabots d’Hellène, mais une de mes devises est : « On ne tire pas sur une ambulance. » 

Puisse ce sermon d’Hippocrate être entendu, à défaut pourrait bien refleurir une pensée de votre philosophe Ray Ventura : « Tout ça vaut mieux que d’attraper la scarlatine. » 

Claude Mazhoud