Figaro à Venise

À le voir évoluer avec élégance dans le salon de coiffure, entre collègues et clients, on pouvait bien penser que ce personnage avait d’autres cordes à son arc !

 

La plupart du temps boute-en-train, quelquefois rêveur et silencieux, il se dévoile, penché au-dessus de la tête qui lui est confiée. Le maniement de ciseaux, peigne ou tondeuse est un régal pour les yeux. Fait-il du théâtre, du chant ? Ses gestes sont à la hauteur du résultat, il sculpte, est-il tailleur ? Vous brûlez…il taille, il assemble, il coud, il brode ! Intriguée et mandatée par L’Observatoire, je le rencontre en dehors du salon.

— Qui êtes-vous Jérôme ?

— Un coiffeur quadra qui aime son métier, parce qu’il peut s’en échapper en rêvant à un monde plus glamour et qui à les capacités artistiques pour le réaliser. J’imagine, je rêve, je conçois des costumes de fête.

Mon berceau devait être entouré de ciseaux et de papier. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours joué avec des ficelles, des rubans, des bouts de tissus. Je suis un manuel qui aime créer.

Sans frères ni sœurs, j’ai eu une enfance heureuse avec mes parents et chez une grand-mère entourée de tantes.

Pour faire plaisir à mes parents, après le baccalauréat, j’ai essayé médecine, puis je suis devenu prothésiste dentaire durant quelques années. Mais après une école et un brevet de maitrise à la chambre des métiers, je coupe, peigne, lisse, sèche et rassure mes clientes sur la bonne santé de leur chevelure.

J’ai fait la fête, j’ai profité de la vie…

— Parlez-moi de votre passion

— Ma première réalisation fut un blaser. En visitant la foire exposition à Bordeaux, je suis tombé en extase devant une machine à coudre brodeuse commandée par ordinateur, là où la plupart de mes congénères seraient tombés amoureux d’une Porsche. Ma mère a accepté de partager cet achat onéreux.

En regardant un documentaire à la télévision sur le carnaval de Venise, j’ai eu le déclic, j’ai su ce que je voulais : faire des habits de scène. Ils étaient dans ma tête. J’ai passé toute mes soirées et toutes mes fins de semaine, à rechercher, dessiner, broder, couper, assembler. Je fais tout : peindre les masques, habiller les chaussures, confectionner les bijoux, créer les chapeaux. Je suis un perfectionniste.

Mon premier costume voit le jour, c’est un Casanova XVIIIe dans un somptueux dégradé de gris et de broderies.

Le deuxième je l’ai fait pour rendre hommage à ma grand-mère italienne qui était née dans un village vénitien avant d’émigrer dans le Bordelais, elle aimait les oiseaux.

C’est une allégorie, il est joyeux, coloré, léger, d’un flamboyant velours orange agrémenté de tulle, Jamais deux sans trois, il me fallait un Lion à Venise pour me pavaner place Saint-Marc : je confectionnai une redingote de velours violet et parme, surmontée d’une fraise XVIe, faite maison, d’un masque admirablement peint et d’une couronne royale époustouflante sur des bottes de sept lieues. En une année, sans quitter ma table de travail, j’atteignais mon but.

Muni d’un billet d’avion et de trois énormes valises je m’envolais pour Venise un peu angoissé.

— Alors racontez-moi Venise !

— C’est incroyable ! En sortant de l’hôtel, costumé et pas trop à l’aise, je rencontre un premier badaud. Son regard bienveillant et admiratif me met aussitôt dans le bain, je comprends que je suis là pour donner du plaisir, je pose à la demande des flâneurs. Je croise d’autres costumés, on parle, on échange, et là je reçois. J’ai fait de merveilleuses rencontres que je reverrai, nous avons pris rendez- vous pour l’année prochaine…Hé oui, je me suis remis au travail, je prépare une Nuit Vénitienne, un Pégase in love et puis surprise… Je ne peux pas vous en dire plus c’est en gestation dans ma tête…

Ai-je rêvé ? Je sors d’un conte de fée. Quand Jérôme parle de son art, car c’en est un, ses yeux brillent comme ceux d’un enfant. Il parle broderie, passementeries, rubans, basque, fraise etc. avec gourmandise. Il a fait une expérience inoubliable à Venise qu’il va renouveler. Je lui souhaite le même bonheur.

J’ai eu envie de lui demander si les sacrifices financiers et la vie d’ascète qu’il menait depuis plus d’une année, n’étaient pas un trop lourd tribut à payer, mais j’ai eu peur de rompre le charme !

Paule Burlaud

(Photos de Jérôme et de son père)

Voir son blog: Lordbyron33blog.kazeo.com