Adieu à la reine Claude

Sa stature, son sérieux en imposaient. De la pratique du sport, elle avait gardé un port de tête majestueux, si je rajoute pour son âge, je me fais agonir.

De sa date de naissance, elle avait fait un déni. Elle n’a pas aimé qu’on fête ses huit décennies.

Née en 1932, dans une famille aimante, après deux frères, elle fut choyée par un père tapissier peintre et une mère au foyer sévère. Durant les années de guerre, on l’envoie avec le plus jeune de ses frères chez une tante à Pau. Habituée aux jeux virils des garçons, elle dispute les championnats nationaux de basket avec l’équipe du Bouscat.

Après le certificat d’études, le BEP, elle apprend la sténodactylographie.

Elle développe très tôt un goût prononcé pour la liberté, l’indépendance, la discipline et la persévérance : valeurs encouragées par une mère bilingue qui regrette sans dans doute de s’être consacrée uniquement à l’éducation de ses enfants !

L’Amérique d’après-guerre, un rêve ?

Réalisable pour la famille Garetier !

À vingt ans, elle part une année comme fille au pair en Angleterre. Son frère aîné épouse une Américaine. Paris la fait rêver. L’année suivante, elle monte à la capitale et fait carrière dans une société de bourse américaine où elle travaille en échanges téléphoniques directs : c'est-à-dire en horaires décalés.

Elle a hérité de son père un don pour les arts, elle a pris des cours de dessin, de modèle vivant et de sculpture et arpenté les musées.

À la retraite, elle vient en vacances dans le Sud-Ouest. Sa mère tombe malade, en fille de devoir elle reste au Bouscat pour la soigner plusieurs années.

En 2000, elle repart vivre à Paris trois/quatre ans, vend son appartement et s’installe l’hiver au Bouscat, l’été à Lacanau. C’est à cette période que nous faisons sa connaissance. Elle se doit « d’entretenir ses neurones », rapidement et sérieusement elle fait de bons articles. Elle se perfectionne en informatique et assiste aux cours d’allemand.

Claude, célibataire et indépendante n’en fait qu’à sa tête … que l’atelier n’arrive pas à « pourrir ».  C’est bien la seule qui ne changeait rien ou pas grand-chose à ses articles. Elle nous regardait par dessus ses lunettes ébréchées en pensant «  cause toujours ! ».

Accablée par le temps qui passe, elle nous montrait la photo qu’elle avait en permanence dans son sac. Celle d’une belle jeune femme svelte et élancée à la longue chevelure… Elle, à 20ans.

— Tu as dû en faire tourner des têtes ! Elle riait en haussant les épaules.

L’âge faisait partie de ses coquetteries, il ne fallait pas y faire allusion, au risque de la voir sortir de ses gongs. On se souvient tous de sa réaction quand une jeune fille bien élevée lui proposa sa place dans le tram…

Devant ses difficultés à marcher et au vu de ses chaussures fatiguées, que de fois l’avons-nous menacée de lui en choisir de confortables ! Aussitôt elle s’offusquait :

— Des pataugas ? Quelle horreur !

Quand lors de son dernier passage à l’atelier début Janvier, elle nous annonça d’un ton péremptoire : 

— Je ne ferai pas d’article !

Nous aurions dû comprendre… elle venait d’apprendre la gravité de sa maladie.

Tu aimais la vie, la nourriture et le vin. Tu vas nous manquer« ma vieille Claude », elle tolérait cette expression affectueuse de ma part, en haussant les épaules.

Alors aujourd’hui nous te disons « Adieu Reine Claude ».


Paule Burlaud