Les trésors de Marius

La mémoire est riche de tous les trésors qu'elle recèle. En partant à la rencontre des souvenirs de Marius Trésor, les espoirs de L’Observatoire ne pouvaient être déçus.

 

Un après-midi de mars, vent, soleil, frimas. Toile de fond : un superbe édifice harmonieux tant par son architecture que par ses couleurs se dresse au milieu de terrains de sports verts à souhait. Le château Bel-Air au Haillan accueille majestueusement sportifs, visiteurs, sponsors et autres V.I.P. Un large escalier débouche sur le hall, vastes baies, plafonds hauts, hôtesses souriantes. Les fanions, les brochures publicitaires, les bouteilles des plus grands crus, exposés bien à la vue, rappellent que vous êtes ici chez les Girondins de Bordeaux et leurs sponsors. L’Observatoire a rendez-vous avec Marius Trésor pour un conte non pas de fées, mais de faits et de passion et ses yeux brillent d'émotion en livrant ce récit.

 

D'île en île

En 1969, à 19 ans, le jeune Marius vit en Guadeloupe. Depuis longtemps, il a un grand projet, il sera moniteur d'éducation physique. Deux ans d'études, mais pour ce genre de formation on n'arrive pas les mains vides, les équipements exigés sont très onéreux. Marius désire travailler pendant les vacances afin de participer aux dépenses de rentrée. Il en appelle à son club, frappe à toutes les portes, en vain. Un peu découragé, il repense aux cinq lettres reçues entre octobre 68 et juin 69 du club de football d'Ajaccio. Doit-on appeler ses missives, sollicitations ? Invitations ? Marius, ironique, précise : « On partait avec pour toute garantie le billet aller et retour. » (Les temps changent et c'est tant mieux). Conseil de famille, hésitations puis nécessité et amour du ballon l'emportent. Le 16 septembre, Marius débarque à Ajaccio. Un peu timide, un peu inquiet, « La Corse est un pays chaud » certes, mais ce n'est pas la Guadeloupe, frères et mère sont bien loin. Venu dans l'espoir de jouer avant-centre, chacun croit avoir son poste de prédilection, l'entraîneur le positionne tour à tour à gauche, à droite, il se sent mal à l'aise. Un jour, la magie du destin s'en mêle enfin. L'équipe rentre d'un match à Reims, les arrières sont éclopés, Alberto Muro sollicite les jeunes recrues pour faire un essai à ce poste, seul Marius accepte de tenter sa chance. La belle histoire est commencée. Deux mois plus tard à Metz : le triomphe. Le public est debout, les journaux s'enflamment, l'épopée est en route pour trois ans. Mais tous les contes connaissent leurs à-coups, leurs rebondissements.

 

La traversée

« Ces trois années ont été extraordinaires, à peine vingt- trois ans, je rêvais. » Mais alors, pourquoi ce départ ? L'éternel sourire de Marius se fait plus malicieux « les joueurs ne décidaient pas de leur point de chute, l'OM avait besoin d'un défenseur, la caisse était bien remplie et son effectif plutôt pléthorique. » Pour ce marché, dans un plateau de la balance, le « Trésor » convoité, dans l'autre le plus gros chèque de la saison et six joueurs dont certains sont encore aujourd'hui liés au monde du football professionnel. Les premiers moments sont un peu difficiles. Le règlement de l'époque interdit d'aligner plus de deux étrangers sur le terrain, ils sont trois, Salif Keita, Josip Skoblar, Roger Magnusson. Cette situation engendre quelques tensions mais Marius devient vite l'homme indispensable de l'OM où il restera huit ans. « J'ai tant de beaux et de bons souvenirs à Marseille, pourtant si j'avais pu choisir, c'est à Nice que je serais allé rejoindre mes copains de l'équipe de France Jean Pierre Adams et Jean Noël Huck. Ma carrière en aurait peut-être été changée... le destin. Et oui, il veille et comme dans tout conte, il joue parfois les trouble-fêtes. Entre 69 et 77 Marius a participé à toutes les compétitions nationales et internationales. Aucune blessure ou presque, l'adresse, la chance, le grand art. En décembre 1976, l'idole ressent une douleur violente «  ce n'est rien, sans doute la fatigue, la trêve hivernale en viendra à bout. » Au retour, en Janvier, force est de constater que rien n'a changé. Visites, contre-visites, opération le jour de son anniversaire vont se succéder en vain. Un chiropracteur allemand résoudra le problème en dix minutes (déplacement du bassin). Marius a perdu quatre mois, dans le monde de l'excellence c'est beaucoup. Cependant volonté et passion sont toujours là et jusqu'en 1980, il restera le rempart de l'OM. Et puis...

 

Le port d'attache

Et puis, c'est l'arrivée à Bordeaux. « La presse n'est pas toujours très tendre, dithyrambique aujourd'hui elle peut se déchaîner demain. À Bordeaux, lors de mon arrivée, les pires rumeurs circulent : Marius Trésor est blessé, il ne jouera plus, les Girondins ont fait un marché de dupes. » Certains se laissent abattre par l'adversité, Marius relève la tête, fourbit ses crampons et son sourire : un challenge à relever. Le président du moment Claude Bez n'a qu'une exigence : le club doit être européen. Avec ses compères Alain Giresse, Bernard Lacombe et compagnie, ils vont s'y atteler. À partir de 1983, les ennuis commencent « le corps a ses arguments, quand il ne peut plus… les organismes trop sollicités se rebellent un jour. » Un dos qui ne veut plus rien savoir : trois opérations en deux ans et l'apocalypse le dernier match en janvier 1984 à Bordeaux contre la Guadeloupe. Émotion, bonheur et larmes, un beau conte s'achève.

 

L’ancrage

Non il ne s'achève pas. Marius est toujours partie intégrante des Girondins. Le football est son univers il n'y compte que des amis. Si vous lui demandez avec qui il a préféré jouer il vous répond simplement «  tous mes coéquipiers ». Bien sûr, il y a des petits plus quand il évoque Pat (Battiston), Nanard (Lacombe), La Platine (Platini) et quelques autres. Il aime raconter cette anecdote « Aux journalistes qui l'interviewaient, un soir de victoire contre la Pologne, Stéfan Kovacs dit simplement : ce soir j'ai trouvé ma garde noire. » Le fabuleux duo Adams-Trésor était né et Jean Pierre Adams est resté pour Marius la référence et l'ami. Ses plus grands souvenirs, son titre de premier capitaine guadeloupéen de l'équipe de France à la coupe du monde de 1978 ou encore le but extraordinaire qui a fait rugir les Brésiliens du Maracana. Mais aussi des moments plus difficiles : la coupe du monde en Argentine avec le contexte de l'époque et les matchs plus ou moins « aménagés » ou encore en 1982, l'épopée espagnole, l'équipe de copains, un but splendide, la terrible blessure de Battiston et l'élimination aux tirs au but. Joies et peines du football, le lot de Marius, son trésor, sa passion.

Enthousiasme intact, il participe toujours activement à la vie du club à tous les niveaux, entraînements, recrutements et relations publiques. Il y est chez lui. Des tas de projets trottent encore dans sa tête, on parle même de stylisme. Puissent tous ses rêves se réaliser dans et autour de ce milieu qui l'a vu grandir. Marius Trésor avec son parcours exceptionnel* et son palmarès, à faire pâlir les nouvelles stars du ballon rond, reste ce qu'il y a de plus précieux : un footballeur à visage humain.

 

Dany Guillon

 

*Marius Trésor : AC Ajaccio 69/72 - OM Marseille 72/80 - Girondins de Bordeaux 80/84

 516 matchs, 9 buts, 65 sélections en équipe de France A - 23 fois capitaine de l'équipe de France