Humour : A fleur de pot

 

Aujourd’hui, alors que la cause animale est un thème de société, la diversité de la vie sur notre planète  serait-elle enfin  reconnue ? La condition florale semble pourtant la grande oubliée.

 

 

par Claude Mazhoud

La Reine Marguerite harangue ses soeurs et frères pour les inciter à se défendre

Les Floralies de Nantes battent leur plein, en marge de la manifestation, de nombreuses fleurs en colère se réunissent sous la férule de la Reine Marguerite. Sans ambages, elle exhorte ses sujettes à la révolte.

 

 

Dites-le avec des fleurs

Les clochettes des campanules, du muguet et des perce-neiges tintinnabulent un émouvant God sève the Queen. Tout chez la blanche Reine Marguerite respire beauté, couronne et élégance. Son allocution lui donne l’occasion d’effectuer une revue d’effectifs. « Mes amies, prudence et discrétion sont de rigueur, cette réunion est clandestine, les fleuristes ne doivent pas découvrir le pot aux roses. Je remercie toutes les fleurs venues des moindres recoins de l’hexagone, comme ces vieilles tiges, au premier rang, un peu dures de la feuille. Bravo à l’édelweiss, descendu de sa froide montagne, un triple ban pour nos tulipes arrachées au ballet incessant des camions bataves. Je remarque, en rang d’oignons, primevères, jacinthes, jonquilles, anémones, dahlias, toutes très belles. Je m’adresse maintenant aux passéistes, vivant sur leurs lauriers. Sache la rose que Ronsard et la Renaissance, c’est bien fini, surtout si tu viens du Kenya, un Président t’avait, certes, remise au goût du jour mais ta durée de vie reste toujours l’espace d’un matin. Toi, le coquelicot aux éphémères pétales rouges, Mouloudji n’est plus là pour te chanter ! Pas plus que Clo-Clo et sa promesse faite aux magnolias, for ever, tu parles ! Le souci affiche déjà sa mélancolie, l’impatiente ne veut pas attendre son tour. Tout près, ce superbe camélia ignore que La Dame aux camélias se prénomme Marguerite. Elle est là, ma cousine, la marguerite, éternellement effeuillée par de jeunes amoureux se contant fleurette et pour qui le dernier pétale décide de tout. Mon bon gros rhododendron, à l’inverse de Sim, nous, on t’aime bien. Je constate des affinités insolites, l’iris et le lys, figures des blasons royaux s’acoquinent avec le muguet, prêts à défiler ensemble pour le 1er Mai ? Attention, je t’ai à l’œil, l’iris. Autre couple singulier, cette violette de Toulouse ou de Parme, connue pour sa modestie et qui flirte avec un narcisse, tellement amoureux de lui-même. Tout au fond, j’aperçois le genêt, authentique descendant des Plantagenêt et qui, avec l’ajonc, squatte désormais les bords de route, au ras des pâquerettes. Devant eux, une orchidée semble sortie d’une forêt tropicale et emblème du souvenir, cette pensée unique. »

 

 

Sois belle et tais-toi

« Terminés les discours à l’eau de rose, cette exposition est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Nous sommes livrées à la convoitise des hommes, aux Floralies, dans les jardineries, sur les étalages des fleuristes, par Interflora, les corsos fleuris. Mises en pot, en vase, vous ornerez des massifs, des plates-bandes, des jardins, des parcs. Certaines garniront balcons et salons. Des horticulteurs vous abandonneront aux mains malhabiles de jardiniers du dimanche. Vous connaîtrez la soif ou la noyade, triturées, piétinées, fanées avant la fleur de l’âge. D’autres finiront dramatiquement dans des couronnes mortuaires, rejoignant nos majestueux chrysanthèmes dans des cimetières tristes à mourir. Ou bien, cueillies toutes fraîches, à la rosée, on utilisera eau chaude, glycérine ou pire encore, le micro-onde pour faire de vous des fleurs séchées. Et que dire des plus odorantes dont les senteurs capiteuses grisent les humains. Sans daigner les mettre au parfum, un beau matin, elles seront embarquées dans des fourgons sans âme pour être remises aux parfumeurs de Grasse. Imaginez, mes filles, 350 kg de fleurs pour obtenir un kilogramme de concrète*, notre jus concentré et distillé, nos pétales plongés dans des bains d’huile ! Tubéreuses au parfum entêtant, rose, jasmin, lavande, vos essences sont recherchées, vous êtes en danger et je vous jure que je ne charrie pas dans les bégonias. Rose, bleuet, immortelle, magnolia, iris, une redoutable industrie vous guette, celle du cosmétique, sans oublier votre exploitation dans le domaine médicinal. Enfin, comble de l’horreur, certaines d’entre nous seraient comestibles. Cessons d’être d’éternelles soumises, il nous faut agir. »

 

 

La fleur au fusil

« La nécessité d’élaborer une déclaration de nos droits s’avère impérieuse. Pour cela, abandonnons notre passivité coutumière, montrons-nous plus rébarbatives quand on vient nous cueillir. Nos amies, la fleur de cactus, l’ortie et ses poils urticants, la ronce et ses barbelés naturels sont prêtes à assurer une formation guerrière à nos troupes.

Imposons des fleurs artificielles dans les cimetières et dans toutes les cérémonies religieuses ou festives.

Formons un groupement scientifique pour mettre en place un système de santé. Un examen méticuleux de nos pistils, étamines, corolles, calices, pédoncules et l’ensemble de nos pétales sera alors effectué périodiquement. Notre mouvement doit rester pacifique. Sur ce plan, je compte fermement sur l’expérience de l’œillet, emblème de la révolution portugaise et du jasmin, symbole du réveil tunisien. Si nous devions vraiment prendre les armes, je ferais appel à des fleurs étrangères, des mercenaires, toxiques comme l’aconit slovène dont l’ingestion d’une seule fleur provoquerait troubles nerveux et cardiaques. La Gympie australienne m’a donné son accord, la cueillir ce serait plonger sa main dans l’acide. J’hésite à contacter le népenthès, fleur carnivore de Madagascar, capable de consommer oisillons et souris. Ces fleurs, mêlées aux nôtres dans de sanglantes Floralies, ce serait le bouquet. Je rappelle toutefois à la rose qu’elle dispose de redoutables épines, le poète Gabriele d’Annunzio en est mort. Je sais aussi que les pétales du géranium produisent un composé chimique efficace contre les scarabées, à toi de jouer bel ornemental !

Deux informations importantes : le Ministère de l’agriculture nous fait une fleur, il accepte de recevoir une délégation de la fine fleur de nos variétés ! Votre langage sera-t-il entendu ?

Une mystérieuse pandémie altère l’odorat des hommes atteint par un virus. Cela pourrait surseoir à bien des sinistres convois vers les parfumeurs, sursis de courte durée car les vaccins produisent déjà leurs effets sur la population.

 « Les fleurs sont faibles, elles sont naïves.» a dit le Petit Prince, à nous de lui prouver le contraire, prenons notre destin en main.

Mais l’émotion me gagne, je me sens rougir comme une pivoine, c’est mon côté fleur bleue.

Ne me couvrez pas de fleurs, faites-moi confiance, alors sans perdre les pétales, nous pourrons bientôt envoyer nos prédateurs sur les roses.

Mes amies, votre reine a soudain envie de se lâcher, un air sublime a bercé notre enfance, écoutons ensemble Sydney Bechet, il joue pour nous… Petite fleur. »

 

 

* extrait obtenu à partir de feuilles ou de fleurs