Leçon d'anatomie

Un célèbre tableau de Rembrandt met en lumière cette science des structures de l’être humain qu’est l’anatomie.

Le génial artiste hollandais imaginerait difficilement la fantastique métamorphose des corps vécue par un homme, encore traumatisé par d’horribles visions, son témoignage est saisissant.

 

Stupéfiantes découvertes

« Hospitalisé dans une clinique de bonne réputation, je remarque dès le premier jour que certains infirmiers ne semblent pas avoir toute leur tête, ils se creusent la cervelle fiévreusement comme pour favoriser la fuite des cerveaux.

Afin de dissiper mon malaise, je trouve refuge, terrifié, dans la cafétéria, là un spectacle inquiétant s’offre à mes yeux, un client a l’estomac dans les talons, un autre met les pieds dans le plat sans vergogne pendant qu’on lui casse du sucre sur le dos. Mon voisin de table me confie dans un souffle : « ici, ventre affamé n’a pas d’oreilles », tout près de nous un patient, sans doute mis à l’index mange sur le pouce, d’aucuns se mangent le nez. Sur un étal improvisé, un individu vend chèrement sa peau, bien qu’elle coûte la peau des fesses, elle trouve preneur, l’homme est payé rubis sur l’ongle. Dans les toilettes dont les murs ont des oreilles, on prend les vessies pour des lanternes, plus loin, sur un échafaudage, un ouvrier pied-de-biche à la main, un compas dans l’œil, travaille d’arrache-pied, lorsqu’il déplore le manque de bras, les bras m’en tombent, on parle ici de syndrome  Vénus de Milo. Le compagnon obéit au doigt et à l’œil à son contremaître, celui-ci jette de la poudre aux yeux, les orteils en éventail, comme sorti de la cuisse de Jupiter, il se prend pour le nombril du monde, j’en donnerai ma tête à couper, ce type a le bras long.

Des êtres étranges m’entourent maintenant, il faut avoir de l’estomac, les uns n’ont rien dans le ventre, d’autres ont le cœur sur la main.

 Survient une bousculade, un énergumène a les nerfs en boule, son collègue plutôt vindicatif lui a adressé un pied de nez. Il réplique par un bras d’honneur puis lui tombe dessus à bras raccourcis, il n’y va pas de main morte, son adversaire même s’il se défend becs et ongles ne lui arrive pas à la cheville.

 

Fuite éperdue

«  Au fond du hall central, une mystérieuse femme scrute les belligérants sous toutes les coutures, mon cicérone, très informé souligne qu’il s’agit d’une petite main vivant sur un grand pied, selon la rumeur, un beau et éminent praticien lui aurait tapé dans l’œil, elle en aurait perdu la tête. Aussi, bien que n’ayant pas sa langue dans sa poche et pour tordre le cou à ces ragots, elle garde bouche cousue, de fil en aiguille, elle noie sa peine dans un doigt de Porto pour oublier son grand patron. Me sentant des fourmis dans les jambes, je jette un œil sur l’ouvrier, espérant lui tirer les vers du nez, cela met la puce à l’oreille à son supérieur, j’en mettrai ma main au feu, ils sont de mèche.

Le chef s’exclame, goguenard : « Croyez-moi j’ai l’œil et le bon, j’ai aussi le nez creux, mon petit doigt me dit que vous vous faîtes du mauvais sang, ne vous faîtes  donc pas de bile ! ».

Ça me fait une belle jambe, je me connais sur le bout des doigts et j’ai l’âge de mes artères, il  me faut pourtant admettre que je n’ai pas de veine et que je me ronge les sangs. Surtout ne pas broncher d’un cil, faire front…

Près de la sortie, un malade est coiffé  sur le poteau, on lui coupe le cheveux en quatre, n’en croyant pas mes yeux, je décide sur le champ de fuir ce royaume d’Absurdie. Le cœur au ventre, un nœud à la gorge, je m’élance, prends mes jambes à mon cou et, comme un dératé, me retrouve dans la rue, ventre à terre, sur les rotules, loin des querelles intestines.

Respirant à pleins poumons l’air vivifiant, je sais désormais que si je n’attends rien de ma réflexion, je suis sûr de mes réflexes.

Aurai-je à mon insu, traversé un film d’horreur ?

En tout cas, une hallucinante leçon d’anatomie vient de m’être administrée par une incroyable galerie de monstres.

Finalement, cette clinique n’était pas très hospitalière. »

 

Claude Mazhoud