Des esclaves oubliés

Une exposition Tromelin, l’île des esclaves oubliés, raconte comment des esclaves malgaches, abandonnés en plein océan Indien sur un îlot inhospitalier, ont survécu.

 

 

 

En 1776, une corvette commandée par Jacques-Marie de Tromelin accoste sur l’île de Sable, constituée d'un terrain plat et sablonneux de 1 km², chahutée par les alizés . Son point le plus élevé ne dépasse pas sept mètres. Elle est située à 450 km à l’est de l’île de Madagascar et à 535 km au nord de l’île Bourbon[1].

 

Tromelin recueille à son bord sept femmes esclaves et un bébé de huit mois, seuls survivants d’un groupe de 88 Malgaches abandonnés là 15 ans plus tôt. À leur arrivée sur l’île de France[2], les femmes sont affranchies et le bébé baptisé.

 

 

 

Esclavage frauduleux

 

En novembre 1760, L’Utile, un navire de la Compagnie française des Indes orientales, commandé par Lafargue, quitte Bayonne pour l’île de France. C’est un trois mats à voiles carrées de 45 m de long, son équipage est composé de 140 hommes.

 

Déjouant le blocus anglais des côtes françaises et après des conditions difficiles de navigation, le navire arrive 147 jours plus tard à destination où il livre des produits alimentaires : farine, biscuits, tonneaux de vin, viande et morue salées… et également des animaux vivants.

 

L’Utile est envoyé à Madagascar pour récupérer d’autres vivres. Arrivé à destination, Lafargue embarque également, contrairement aux ordres du gouverneur local, 160 esclaves malgaches qu’il compte vendre discrètement avec un substantiel bénéfice, sur l’île Rodrigue située à 560 km à l’est de l’île de France, ce qui l’amène à modifier sensiblement sa route de retour.

 

 

 

Naufrage meurtrier

 

Le 22 juillet 1761, L’Utile appareille de Madagascar. Pressé d’arriver, Lafargue, contre l’avis de son second et malgré des divergences entre deux cartes, poursuit sa navigation de nuit. Le 31 juillet, à 22 heures 30, il s’échoue sur des récifs coralliens. Chahuté par des déferlantes, le bateau ne résiste guère aux assauts combinés du vent et de la forte houle. La coque éclate. Le bilan est lourd : 18 marins et 70 esclaves se noient, 210 rescapés gagnent péniblement l’île de Sable où la survie s’organise. Un puits qui fournit une eau saumâtre est creusé. Les vivres sauvés du naufrage, la pêche et la capture de tortues et d’oiseaux de mer fournissent une alimentation suffisante à l’ensemble du groupe. Des tentes sont construites à l’aide des voiles.

 

Castellan, le premier lieutenant, fait construire une embarcation à partir des débris de l’épave. Après deux mois de cohabitation, les marins rescapés quittent l’île, laissant sur place 80 esclaves hommes et femmes, en leur promettant de revenir les chercher sans tarder. Mais ce n’est que 15 ans plus tard que les survivants seront récupérés.

 

 

 

Survivre

 

Pendant 245 ans, on ne sait quasiment rien de leurs conditions de vie. Il faut attendre 2006 pour que des fouilles sous-marines et terrestres soient effectuées. L’épave, dont il ne reste plus que de lourdes pièces métalliques : canons, boulets, lest…, git par 5 mètres de fond. Un four ainsi qu’un mur sont mis à jour. En 2008, 2010 et 2013, nouvelles fouilles et nouvelles découvertes : divers ustensiles, ossements humains, une douzaine de bâtiments construits autour d’une cour centrale, constituant un indéniable lieu de vie collective…

 

Ces résultats ont permis de reconstituer l’habitat en dur qui remplace les premières tentes. La nourriture est prélevée aux rythmes des saisons de ponte et nidification, elle est cuite en économisant le bois récupéré sur l’épave ou échoué.

 

Les Malgaches, considérés alors comme des sauvages par les Européens, ont su récupérer et sans cesse réparer, recycler les objets de L’Utile : hameçons, vaisselle, outils… et se doter d’une microsociété garante de leur survie.

Roger Peuron

 

 

 

 

 

 

Compagnie française des Indes orientales

 

Elle est créée en 1664 par Colbert pour « importer et négocier thé, café, épices, contonnades et soieries ». Le roi Louis XIV lui attribue le monopole du commerce dans l'hémisphère oriental. Auquel s'ajoutent au XVIIIe siècle la côte ouest de l'Afrique (Sénégal, Guinée). En 1666, le port de Lorient, où un navire de commerce le Soleil d'Orient est alors en construction, devient le siège de la compagnie.

 

 

 

Source :

 

Exposition Tromelin, l’île des esclaves oubliés.

 

Musée d’Aquitaine, jusqu’au 30 avril 2017.

 

 


[1] Île Bourbon devient île de La Réunion le 19 mars 1793 lors de la Révolution.

[2] Île de France retrouve son nom initial Maurice en 1814, suite au traité de Paris entre la France et l’Angleterre, qui règle le sort de plusieurs îles de l’océan Indien.