Le voyage de Jadine et Edou

Les  familles Delabride-Demonsac et Ceppe-Devigne sont heureuses d’annoncer le mariage de Jeanne Amandine (Jadine) et Henri Édouard (Édou) consacrant l’union de la banque et du vin

Un berceau idéal pour une nombreuse progéniture, 2008 (photo C. Mouret)
Un berceau idéal pour une nombreuse progéniture, 2008 (photo C. Mouret)

Aucune surprise, ces deux-là se connaissent depuis la maternelle. Pas besoin de rallye pour les unir, depuis qu’ils sont nés on leur répète qu’ils sont faits l’un pour l’autre, on s’extasie sur leur chance et leur bonheur. Eux-mêmes en sont persuadés.

Ce fut une magnifique cérémonie célébrée par Ullé Jappin et monseigneur Jobidon où se retrouva tout le gratin, auquel on ajouta, pour le fun, un peu du show-bizz.

   

Sur les rails

On demanda aux mariés d’arrêter de courir après d’hypothétiques autant qu’onéreuses études, ce qui fut loin de leur déplaire. Ils passaient plus de temps avec des amis entre shopping, salon de thé, boite de nuit, l’hiver à Megève et l’été au Ferret, qu’à se préoccuper de leur avenir. Cadets de familles nombreuses, on eu pour eux plus d’indulgence que pour les aînés, qui, ayant subi l’autorité paternelle, ne se gênèrent pas pour le rappeler aux parents.

Édou fut sommé de se mettre au travail et Jadine de se vouer à son foyer afin d’en assurer au plus vite la descendance. Dans ces familles-là, on fait des enfants. Il n’est pas très éloigné le temps où l’on croyait que ces petits anges étaient l’œuvre du Saint-Esprit… Mobilier, immobilier, voiture, femme de ménage et chien de poche, furent fournis par les Devigne. La Banque offrit à Édou un poste de chargé d’affaires (pompeuse appellation qui recouvre en général le piston ou l’incompétence) et le salaire qui va avec, dans une des succursales de papa.

Après deux semaines aux Seychelles organisées par Just maried, la sonnerie du réveil devient le cauchemar d’Édou pendant que Jadine se prélasse en attendant le retour de son homme. Elle retrouve ses amis qui envient un peu sa chance, et lorgnent sur les signes extérieurs inhérents à l’union. Rapidement son ventre s’arrondit. Un premier enfant mâle naît. Les patronymes Demonsac et Devigne sont sauvés.

Ses amies constatent que l’annuaire de sa main gauche s’orne d’un  nouveau caillou. Fière et pleine d’assurance, Jadine promène le fruit de ses entrailles dans une poussette dernier cri aussi maniable qu’un char à bœufs, qui a quelques difficultés à se mouvoir entre les portants des petites boutiques ou les tables des salons de thé. Tout tourne autour de l’enfant et sa conversation ennuie rapidement son entourage. 

 

Train-train quotidien

La famille s’est agrandie, trois garçons en cinq ans ; l’immobilier a suivi ainsi que le moyen de locomotion réputé pollueur. Jadine et Édou, sans en parler aux familles, décident de mettre fin à leurs ambitions reproductrices. Elle est une mère débordée par trois monstres pleins de vie qui ont respectivement cinq, sept et huit ans.

Chaque jour, levée la première, elle prépare le jus de fruits frais et le café de son homme qui un jour sur deux déboule dans la cuisine, sacoche dans une main et veste dans l’autre, trop en retard pour apprécier ce geste d’amour.   

Chaque jour, elle réveille sa  progéniture qui à peine l’œil ouvert déborde d’énergie… la table du petit déjeuner subit un ouragan et après cris et énervements inutiles, tout le monde se retrouve dehors, à cinq minutes de l’école Sainte-Philomène, où les enfants sont demi-pensionnaires et où seront dispensées les valeurs familiales et les bonnes manières.

Chaque jour, elle retrouve  ses amies et transpire sur les machines infernales d’un club de remise en forme où la tenue vestimentaire a plus d’importance que les performances sportives, où  les coaches musclés, beaux et bronzés sont aussi là pour entretenir l’ego et le moral. Certaines n’hésitent pas à s’encanailler dans les vestiaires, mais Jadine, qui en meurt d’envie, n’a pas encore fait sauter le verrou de sa bonne éducation.

Elles y déjeunent d’une eau minérale et d’une salade d’épinards insipide, à la mode diététique du moment. Silhouette oblige.

Chaque jour, shopping, ciné, quelques expos ou conférences pour la conversation des cocktails, il faut bien tuer le temps jusqu’à la sortie des enfants. Inutile de retourner à la maison gêner Cosette, la perle irremplaçable qui veille à l’intendance. Elle a élevé Jadine et madame mère Ceppe-Devigne, en plaçant Cosette chez sa cadette, garde un œil sur elle. 

Chaque jour, à 16 h 30, Jadine récupère les enfants, s’arrête à la boulangerie, avant une halte aux jeux du jardin public où les monstres s’en donnent à cœur joie. Déjà conscients de leur rang, ils ont une fâcheuse tendance à s’approprier l’espace. Retour dans une maison propre et rangée qui se transforme rapidement en champ de bataille.

Chaque soir vaines tentatives pour les devoirs ou la lecture. La salle de bain devient piscine, et en pyjama, ils se retrouvent autour de la table du dîner : jambon-pâtes et au lit ! Jadine souffle.

Chaque fin de semaine le couple retrouve les mêmes personnes aux mêmes endroits pour les mêmes loisirs et, aux vacances, ils se partagent entre les deux familles dans des lieux réputés et ennuyeux. Les Ceppe-Devigne du côté de Madame ont un château au fin fond de la Corrèze, et pour rien au monde on ne se priverait de s’y geler pour les fêtes de fin d’année. Sans confort moderne, ce ne sont pas les cheminées qui réchauffent les corps, mais la cave que monsieur ne manque pas d’approvisionner. Retrouver les paysans à la messe de minuit, les saluer en se souciant de leur santé et du devenir de leur famille permet de s’assurer que la déférence et le respect ont toujours cours. En période électorale, il convient de veiller à ce que les voix ne se perdent pas sur les chemins des « Rouges », les deux irréductibles familles adeptes d’un communisme révolu.

Du côté des Delabride-Demonsac, on se retrouve l’été sur Les Quarante-Quatre… hectares  bien sûr. Les temps sont durs, l’argent a changé de main, les nouveaux propriétaires   vulgaires s’affichent. Ils ne sont pas les bienvenus mais on arrive quand même à rester entre-soi.

La banque Delabride-Demonsac, 2008 (photo C. Mouret)
La banque Delabride-Demonsac, 2008 (photo C. Mouret)

Quand ça déraille

Ouf ! Jadine s’écroule dans le canapé et depuis quelques temps, elle appréhende cet instant de solitude, propice aux questionnements… un certain trouble s’est emparé d’elle, quelque chose qu’elle n’arrive pas à définir. Ses enfants sont difficiles et indifférents et Édou est trop absent, c’est maintenant un trader réputé, dont la Banque Delabride-Demonsac aurait quelque difficulté à se passer. Hé oui, tout arrive, son insouciance a cédé la place au sérieux et à la rigueur familiale. Il rentre tard et s’écroule à l’autre bout du canapé. Ils dînent d’un plateau repas devant la télé. Les câlins se font rares  et sont devenus un rituels de fin de semaine… le fantasme du beau Carlos de la salle de gym est maintenant réalité et cette transgression la culpabilise moins que l’utilisation du Sexe Toy offert par ses amies provenant de la célèbre  boutique  parisienne Siniel Rockal… Il lui arrive même, de souhaiter que les retours tardifs au foyer d’Édou, aient des motivations plus rock en roll que les chiffres ! S’aiment-ils encore ? Se sont-ils aimés ? Cette union arrangée n’était-elle pas plus fraternelle qu’amoureuse ? Elle a essayé de lui parler.

«  Tu as tout, que veux-tu de plus ! 

Elle s’en est ouverte à sa mère. 

– De quoi te plains-tu avec la chance et le mari que tu as, ayez d’autres enfants ! »

Ses amies ne la comprennent pas, de peur de remettre en cause leur propre train-train. Son coiffeur, sa manucure, son esthéticienne compatissent : c’est une bonne cliente !

Jadine est insatisfaite, incomprise, elle remet en cause pour la première fois sa chance, son bonheur, et sa vie facile. Elle s’ennuie…

 

À vous cher lecteur, de venir en aide à notre pauvre Jadine…

Mais attention à la facilité ! Claquer la porte en abandonnant enfants et mari pour se vouer à une cause humanitaire, cela ne se fait pas ! On s’accommode, on s’arrange, on mène une double vie, rien n’est interdit, il faut seulement être discret.

Envoyez vos suggestions. Sous le contrôle de  maître Brigitte-Roger, la solution retenue gagnera un abonnement à L’Observatoire.

 

Paule Burlaud