Le dirigeable reprend son envol

Plus léger que l'air, il renaît, tel le phénix, et revient en force dans le cadre de la transition écologique.

par Bernard Diot

 

À Laruscade, au nord de la Gironde, une réunion se tenait le 27 février dernier, dont le menu était étonnant : cette réunion était organisée dans le cadre d'une enquête publique portant sur l'installation, dans cette commune, d'une usine de montage de dirigeables ! Le premier devrait être livré courant 2025. Les collectivités, Commune, Communauté de communes, Conseil régional et l'entreprise porteuse du projet, Fliyng Whales (baleines volantes) animaient la réunion afin de répondre aux nombreuses questions que se posent les riverains. 

Zones difficiles d'accès

Une demande de l'ONF (Office national des forêts) est à l'origine de ce projet. L’organisme souhaite pouvoir disposer d'un appareil capable de charger et décharger du bois dans des zones difficiles d'accès avec un système de treuil en vol stationnaire et sans infrastructure au sol. Ceci, dans le but de se passer de l’utilisation de l'hélicoptère qui rend cette exploitation économiquement non rentable. Le bois est un enjeu majeur de la transition énergétique. L'ONF veut, par ce moyen, réduire les importations de bois et mieux exploiter la ressource sur le territoire national qui présente la plus grande réserve d’Europe.

Le Canada est également intéressé pour le transport d’éléments d’hôpitaux ou de construction de bâtiment vers des régions difficiles voire impossibles d'accès par la route. La même problématique concerne la Guyane. D'autres sociétés, comme RTE (Réseau de transport d’électricité), pourraient l'utiliser pour le démontage et le montage de pylônes situés en milieu difficilement accessible. 

Une soute de 60 mètres

L'aéronef mesurera 200 mètres de long pour un diamètre de 50 mètres. Il pourra emporter une charge utile de 60 tonnes. La société Epsilon composite de Lesparre, étudie et réalisera la structure de poutre en composite, Zodiac Aerosafety Systems, REEL et Tecalemit Aerospace prennent en charge la fourniture de l'enveloppe extérieure, les 14 cellules indépendantes qui seront remplies d'hélium1, le système de gestion de la charge utile et les systèmes de ballastage. Le tout sera complété par une soute de 96 mètres de long qui abritera le chargement. Safran, Pratt&Withney, Honeywell concevront une propulsion hybride électrique2. L'appareil sera doté d'hélices pour ses déplacements horizontaux et verticaux. Un cockpit, dont l'équipement sera assuré par Thalès, est prévu à l'avant de l'engin. Une personne assurera son pilotage, une deuxième sera là pour le grutage.

Lorsqu’il est à vide, le dirigeable doit embarquer soixante tonnes d'eau dont il doit se délester au moment où il récupère son fret. L'opération inverse est nécessaire lorsque qu'il débarque son chargement. Des questions peuvent se poser quant à la quantité d'eau consommée lors de ces opérations et par quoi la remplacer en cas d'absence ? Des solutions alternatives sont avancées comme l'utilisation de blocs de rocher ou de ciment. Pour chaque mission, il faudra étudier le moyen de rééquilibrer l'appareil. 

50 dB maximum

L’engin se déplacera selon les règles applicables au vol à vue. Ce qui écarte pour l'instant le travail de nuit. Il peut filer jusqu'à 100 km/h et pour un convoyage parcourir 1 000 km dans la journée. Un bémol, les contraintes liées au vent : en vol stationnaire, le chargement et le déchargement ne peuvent s’effectuer que si la vitesse du souffle est inférieure à 40 km/h.

Les études, menées en coopération avec les services de la météorologie, conduisent à estimer le nombre de jours de travail possible à 300 par an.

Les nuisances sonores sont peu impactantes pour l'environnement. Dans les phases de décollage et de croisière, le niveau du son est environ de 50 dB maximum, ce qui correspond à l'ambiance d'un restaurant tranquille. 

Moins d'émissions de carbone

L'analyse du cycle de vie du dirigeable, de l'extraction des matériaux nécessaires à sa construction jusqu'à son recyclage, permet de mettre en évidence les postes qui ont des conséquences pour l'environnement. Sans surprise, l'utilisation du kérosène monopolise toutes les attentions. Si l'emploi d'un carburant fabriqué à partir de végétaux améliore son bilan, ce n'est qu'une solution provisoire dans l'attente de la mise au point des piles à hydrogène à l'horizon 2030.

Dans l'attente de la solution tout électrique et si on ne prend pas en considération les émissions liées aux infrastructures (ports, routes etc.), il est plus émetteur de CO2 qu'un camion ou un navire. Mais il trouve tout son intérêt dans un environnement dit hostile comme le montre l'étude faite pour l'approvisionnement de la ville de Maripasoula en Guyane. Son adoption permettrait d'économiser 40 % d'émissions de CO2 (800 kg par tonne transportée) par rapport à l'utilisation de camions ou de pirogues.

D'autres études, menées par le cabinet carbone4, montrent que le dirigeable est de 10 à 20 fois moins émetteur de CO2 qu’un hélicoptère du type Super Puma pour le même type de mission.

L'hélium compressé, qui permettrait de se passer des opérations de délestage, n'est pas envisagé à moyen terme car cette technologie n'est pas mature.

Lors de la réunion, des questions ont émergé sur son utilisation dans l'exploitation des forêts primaires et surtout sur leur surexploitation. À ces interrogations, la société a répondu qu'elle veillerait à ne contractualiser qu'avec des acteurs publics ou des intervenants respectant les règles de l'art et de bonnes conditions de travail.

Dès à présent rendez-vous est pris en 2025 à Laruscade pour le premier envol. L’heure, le jour et le mois restent à fixer.

 

1 l'hélium est un gaz porteur et inerte (non explosif et non inflammable) qui permet de s'extraire de la pesanteur sans énergie. Il est principalement récupéré à partir de gisements de gaz naturel. 

2 Technique de propulsion utilisant plusieurs sources d'énergie, le plus souvent une combinaison d'un moteur thermique (ici alimenté avec du kérosène) qui produit de l'électricité pour alimenter un moteur électrique. La consommation est estimée à dix tonnes de carburant par jour de travail (entre 6 et 10 heures).

 

 

Flying Whales est une start-up française fondée par Sébastien Bougon en septembre 2012. Elle collecte des fonds dans le but de construire et d'exploiter des dirigeables. Une somme de 450 millions d'euros est nécessaire pour mener à bien ce projet. Les études menées jusqu'en 2016 la conduisent à rejoindre le programme Nouvelle France Industrielle. Le succès des diverses levées de fonds auxquelles participent entre autres la région Nouvelle-Aquitaine, l'ONF, l’État français, le Canada, la principauté de Monaco, ADP (Aéroport de Paris) permettent d'envisager sereinement l'avenir. En juin 2022, elle regroupe 40 entreprises au sein d'un consortium.