Edito

Et si ce continent qui fut tellement violé, pillé, méprisé, martyrisé, portait l’avenir de notre planète ? Ses richesses encore à découvrir, ses réserves naturelles, ses diversités ethniques, l’exubérance créative de sa jeunesse, ses innombrables cultures sont autant d’espoirs qui demeurent. Et ce, malgré les querelles, les drames, les conflits, dont bon nombre sont dus à une décolonisation bâclée, l’omniprésence des envahisseurs d’hier et à la faiblesse des États dont profitent certaines entreprises. 

Bordeaux fut le port d’où partaient « les grands vaisseaux que la houle incline en silence » si poétiquement décrits par Sully Prud’homme. Les Foucauld, Général Leclerc, Brazza, pour ne citer que quelques paquebots des Chargeurs Réunis, font partie de ceux qui participaient à une incessante noria reliant notre port à Dakar, Abidjan, Conakry, Lomé, Cotonou, Libreville, Port Gentil etc. 

 C’est à eux que le port de la Lune, même si son activité n’est plus – ou si peu – à destination africaine doit d’être installé aux premières loges des relations entre la France et le continent noir. Mais il doit aussi cette primauté à une part d’histoire peu recommandable. Il lui reste d’ailleurs à aller au bout de sa psychanalyse ; car même si Bordeaux ne fut pas le premier du Royaume de France dans l’ignominie du commerce triangulaire, ses négociants doivent leur fortune à l’exploitation des esclaves déportés d’Afrique jusque dans les Isles. 

Et la ville, qui n’avait jamais renié cette hypocrite candeur qui vaut à des esclavagistes d’arborer fièrement leur nom sur des plaques de rues, cours, avenues, commence à signaler aux passants que certains d’entre nos bons négociants participèrent à ce crime contre l’humanité. 

À travers récits, portraits, visites, rencontres, ce numéro de rentrée de L’Observatoire s’intéresse donc à l’Afrique à Bordeaux. Afrique représentée bien sûr par les milliers de ses émigrés qui ont fait de la capitale girondine leur nouvelle terre, mais aussi par les accointances portuaires, les résurgences culturelles, la permanence historique qui nous lient à elles. À quelques encablures temporelles du sommet africano-français de juin 2020, cela nous permet d’affirmer que cette affiche politique a plus sa place sur les rives de la Garonne qu’elle ne l’eût dans les précédentes villes hôtes qu’il s’agisse de Nice (2010), Cannes (2007), Biarritz (1994) ou Paris. En effet, les dirigeants venus du sud qui se retrouveront à Bordeaux en juin seront un peu chez eux, sur les rives de la Garonne tant l’Afrique est indissociable de l’histoire comme de l’actualité bordelaises. Et ce n’est pas le moindre des avantages pour elle que d’être ainsi intimement lié à un continent, hier, berceau de l’humanité, demain, peut-être, gage de sa survie. 

Jean-Paul Taillardas