L'Amy du wax

Aminata Thione en tenue de couturière, devant ses tissus africains, éclatants de couleurs. (photo de Léa Thomas)

 

Couture et création ont permis à Aminata, une jeune femme sénégalaise, de trouver sa place à Bordeaux. 

 

Passons la porte de la boutique Amy Gallery, rue de la Ferme Richemont, à deux pas du cours Victor-Hugo à Bordeaux. La vitrine est discrète mais, à l’intérieur, l’ambiance créée par la reine des lieux, Aminata Thione, est joyeuse et riche en couleurs. C’est parce qu’elle est couturière et qu’elle crée des vêtements et des objets de décoration avec des tissus africains flamboyants comme le célèbre wax*. Sénégalaise, elle est venue vivre à Bordeaux, il y a une trentaine d’années et n’est jamais repartie. Elle a raconté sa réussite bordelaise à L’Observatoire. 

 

L'Observatoire : Quelle est votre activité à Bordeaux ? 

— Aminata Thione : J’ai créé une boutique il y a 20 ans pour vendre mes créations. 

Je dessine moi-même mes modèles et je fabrique tout toute seule. Je fais parfois aussi du « sur mesure » à la commande quand j’ai du temps car je travaille seule. 

Pour créer mes vêtements, je m’inspire des magazines, je regarde les passants dans la rue, j’écoute de la musique toute la journée dans ma boutique, cela me donne des idées. Je fais plutôt des vêtements de type occidental, robes, vestes, pantalons mais uniquement avec des tissus africains. Je propose aussi des coiffes, poupées, sacs, abat-jour, coussins… 

 

Quels tissus utilisez-vous ? 

— J’utilise uniquement des tissus africains notamment le wax* que j’achète chez des fournisseurs étrangers. En Hollande, au Nigéria par exemple. Ces industriels ont leurs designers, ils adaptent les motifs en fonction des modes locales et internationales, en fonction des événements car le wax est un tissu qui délivre des messages, les motifs parlent. Ceux d’inspiration africaine ont des couleurs vives et franches. Ceux d’inspiration indonésienne ont plutôt des dessins géométriques et se déclinent dans les tons marron ou rouille. 

 

Que faisiez-vous avant la création de votre entreprise ? 

— Je suis arrivée en France il y a une trentaine d’années. Je venais du Sénégal, de Dakar. Je n’avais pas d’activité professionnelle. Pour m’occuper, j’ai pris des cours de couture. Cela m’a beaucoup plu. Je faisais des petits objets faciles à coudre comme les coussins puis j’ai fait des vêtements pour moi mais aussi pour mes connaissances, mes amis. 

J’avais trouvé ma voie, couturière et créatrice. 

 

Avez-vous bénéficié de soutiens pour créer votre entreprise ? 

— Non mais mon mari m’a beaucoup épaulée pour les démarches administratives, pour trouver le local ici près du cours Victor Hugo et pour l’aspect financier. Aujourd’hui à la retraite, il m’aide encore le matin pour ouvrir la boutique ou pour me remplacer quand je prends du repos. 

 

D’où vient le nom de votre boutique ? 

— Amy vient de mon prénom Aminata et Gallery, parce que c’est aussi un lieu d’exposition de mes créations. Et en anglais, c’est plus original. 

 

Quels sont vos clients ? 

— J’ai une clientèle très éclectique, de tous les âges, j’ai plus de personnes occidentales que d’africains. Et j’ai des clientes très fidèles. 

 

Comment vous vous faites connaître ? 

— Le bouche à oreille bien sûr, j’ai un site internet, une page Facebook et puis je fais des défilés par exemple à Sciences Po. J’ai aussi participé à des expositions comme celle du Musée d’Aquitaine sur les classes moyennes en Afrique où j’ai exposé quelques-unes de mes créations. Une robe longue est encore exposée dans la boutique. Depuis, j’ai eu plusieurs commandes de ce modèle. 

 

Qu’est-ce que vous aimez dans votre activité ? 

— J’adore mon métier, créer, coudre avec des tissus plein de couleurs, toucher les matières. Et j’aime être mon propre patron. 

 

Pensez-vous transmettre votre savoir-faire ? 

— Oui, j’ai beaucoup de demandes, mais mon local actuel est trop petit pour installer un atelier d’apprentissage. 

 

— Que pensez-vous apporter aux Bordelais ? 

— J’apporte un peu de ma culture mais surtout c’est mon enthousiasme, ma joie de vivre que je partage, c’est surtout un échange avec mes clients. On peut discuter une demi-heure, une heure parfois pour choisir un tissu, essayer un modèle… Une relation se crée, c’est ce que j’aime. 

 

Vous sentez-vous Bordelaise après 30 ans de vie ici ? 

— À fond ! J’adore ce quartier, Saint-Michel que j’ai habité avant d’aller vivre à Pessac, je me sens d’ici maintenant, tous mes enfants et petits enfants vivent à Bordeaux. Mais je suis un peu écartelée entre les deux pays car j’ai encore des liens très forts avec le Sénégal. Ma mère et une partie de ma famille y habitent, j’y vais régulièrement, en vacances, pour me ressourcer. 

La boutique d’Aminata est ouverte tous les jours, c’est aussi son atelier de couture, un rayon de soleil et une touche africaine dans le quartier Victor-Hugo en pleine rénovation. 

 

 Marie Depecker  

Le wax, ce tissu africain qui venait d’Indonésie 

Le wax africain est un tissu en coton coloré sur ses deux faces, traité à la cire pour lui donner un aspect légèrement brillant. Contrairement à ce que l’on pense, le tissu wax n’est pas africain à l’origine. Au XVIIe et XVIIIe siècles, les Hollandais installent des colonies en Indonésie. Un siècle plus tard, la population se révolte de façon régulière contre cet envahisseur. Les Hollandais recrutent alors des mercenaires sur les côtes d’Afrique de l’Ouest où ils ont des comptoirs commerciaux. En rentrant, ces soldats rapportent avec eux le tissu typique d’Indonésie : le batik. Et c’est un succès total dans toute la population, tout le monde se l’arrache. Les Hollandais installent alors chez eux des manufactures pour produire en masse un tissu inspiré des modèles indonésiens et utilisant la même technique à la cire, d’où son nom de wax (cire en anglais). Ils sont également imités par les Anglais. Les boutiques se multiplient en Afrique de l’Ouest. Et depuis les années 1960, les Africains fabriquent aussi ces tissus ainsi que les Chinois, plus récemment. 

Très apprécié en Afrique de l'Ouest et en Afrique du Sud, le wax est souvent porté en pagne. Chaque motif du tissu a une signification et en le portant, on se dévoile aux autres.

Par exemple, avec le tissu appelé « feuille de gombo » la femme qui le porte met en avant le fait qu’elle a beaucoup épargné pour se l’offrir et qu’elle est une personne qui fait des efforts pour obtenir ce qu’elle veut. Un autre classique est l’étoffe « mon mari est capable », en l’arborant la femme africaine montre qu’elle est fière d’avoir un mari attentionné et prospère. À l'inverse « tu sors, je sors » est destiné à faire passer le message qu’elle sera aussi volage que son époux !

Certains motifs sont liés à des évènements politiques comme la visite d’un dirigeant étranger, Jacques Chirac ou Barak Obama

Toutes les photos sont de Léa Thomas