Marchande de rêves

Gratter, cocher, pronostiquer, miser, perdre ou gagner, c'est le quotidien des amateurs de jeux d'argent.

 

Pour parfaire les connaissances de ceux qui ne pratiquent pas les jeux d'argent, poussons la porte de la Maison de la presse, à Bassens. Sandra Croué en est la gérante. Son magasin est situé place du marché, lieu stratégique de la ville. La plupart du temps, il y règne une atmosphère de ruche, le chaland s’y bouscule dans un climat d’agitation et en même temps de concentration. Ceci peut être parfois agaçant quand on vient simplement acheter le journal et non jouer.

Sandra Croué est une jeune femme dynamique, manifestement à l’aise dans son magasin. Son contact avec la clientèle respire la cordialité. Elle fût précédemment aide médico-psychologique pendant 12 ans, ce qui peut expliquer, outre sans doute des dispositions innées, son empathie pour la clientèle.

Elle fait d’évidence un métier qui lui plaît malgré ses contraintes : un travail plutôt exigeant, des horaires allant de 7 h à 20 h avec une pause entre 13 h et 15 h et ceci, tous les jours excepté le dimanche après-midi, à piétiner sur une surface réduite. Elle s’est volontiers prêtée au jeu des questions réponses.

 

— L'Observatoire :  Quelles sont les conditions réglementaires pour proposer des jeux d'argent ?

Sandra Croué : La seule obligation légale est d’avoir un casier judiciaire vierge. Il n’y a pas de diplôme obligatoire spécifique. En ce qui me concerne, j’ai simplement eu une courte formation dispensée par la Française des jeux (FDJ). Il est tout de même nécessaire d'avoir des notions solides en matière de gestion.

 

Combien de jeux peut-on pratiquer dans votre établissement ?

Très nombreux : turf, loterie nationale, loto, Euromillion, Keno, Amigo... au total plusieurs dizaines, le tout étant géré par la FDJ et le PMU. Les jeux de grattage connaissent un grand succès, sans doute à cause de l’immédiateté des résultats.

 

Quel pourcentage des mises est reversé aux joueurs ? Avez-vous eu de très gros gagnants ?

68 % des gains sont reversés au joueur, le reste est partagé entre les sociétés organisatrices et l'État. C'est lui le seul gagnant non aléatoire. Quant à de gros gagnants, je n'en ai pas eu dans mon magasin. Le maximum est d'environ 6 000 euros, somme certes non négligeable mais loin des records et qui ne transforme pas radicalement la vie.

 

Peut-on faire le lien entre le nombre de joueurs et divers événements sociaux ou politiques ?

Je n’en ai pas vraiment l’impression. En revanche, la corrélation est très nette avec certaines superstitions, des dates fétiches comme le vendredi 13 ou des dates anniversaires.

 

Les joueurs sont-ils réguliers et combien misent-ils ?

La plupart joue régulièrement ; les sommes engagées sont souvent de moins de 10 euros pour les jeux de grattage et d’une vingtaine d’euros pour le tiercé. Certains dépensent beaucoup plus y compris des gens aux revenus apparemment modestes.

 

Avez-vous connu des cas d’addiction pathologique ?

Au sens où cela peut mettre en péril la vie familiale et sociale des joueurs, c’est très rare autant que je sache. Les addictions au PMU sont beaucoup moins spectaculaires que celles liées aux jeux de casino; décrites dans les romans, où on voit des joueurs malchanceux se suicider au petit matin, après s’être ruiné en une nuit.

 

Jouez-vous vous-même ?

Très rarement

 

Les jeux de hasard existent depuis l'Antiquité. On en trouve la trace, sous la forme d’objets dédiés comme des dés ou des cartes, de Babylone à Rome en passant par l'Égypte. Ils résistent à toute rationalité et continuent à prospérer même si cela peut paraître illogique aux yeux d’un non-joueur.

Sandra Croué dit elle-même qu’elle est une marchande de rêve et le rêve est indispensable. En outre, les jeux créent de la convivialité, du lien social. Les joueurs dialoguent pendant qu’ils étudient, concentrés, les pronostics sur les journaux spécialisés, cochant ici une grille, là barrant un nom : c’est un véritable petit théâtre où chacun est acteur et spectateur.

Et puis considération plus terre à terre, si les revenus liés aux jeux venaient à manquer (plusieurs dizaines de milliards d’euros annuels), l’État dans sa grande ingéniosité aurait tôt fait de trouver des impôts nouveaux pour compenser le manque à gagner.

 

Le joueur serait frustré de ses rêves, le non-joueur perdrait de l’argent. Alors décidément, vive les jeux d’argent et de hasard.

 

Jean Malbot