L'étoffe de la passion

Le drapé révèle la beauté du corps sous la légèreté de la matière.

 

Tous les dix ans, le drapé réapparait sur le marché de la mode. Les grands couturiers s'en emparent, éphémère passage d'un vêtement qui laisse deviner ce qui est couvert, caché.

En 2022, la toge s'est transformée en robe et le drapé fait son retour, nostalgie des années 1990 et 2000. Il s'adapte à toute morphologie, à tout style. L'enjeu n'est pas de ressembler à une statue grecque ou romaine.

 

Sensualité

Entre voile et dévoilement, le mouvement des étoffes dissimule la nudité des corps. C'est un agencement d'étoffes et de plis. La texture même du tissu (jersey, viscose, lin, etc.) influe sur l'aspect général du drapé. Les tissus plus épais font des plis plus gros et ronds alors que les légers font des petits plis serrés. Le drapé joue sur les variations ombre et lumière, ombre des plis, lumière des volumes, ensemble qui va le mettre en valeur. Les tissus ne « tombent » pas de la même façon suivant leurs compositions.

Dès le XVe siècle, pour représenter le drapé, les artistes préconisent de passer par le stade du nu, injonction que l'on retrouve sous la plume de tous les théoriciens de l'art jusqu'au XIXe siècle et adoptée par des peintres comme Picasso ou Balthus. « La draperie n'a pas de forme en soi, c'est le corps qui lui donne sa forme. Le nu est une forme « formante », le drapé revêt le corps, et c'est le corps qui structure le drapé » rapporte Éric Pagliano, conservateur du patrimoine.

Pour couvrir et habiller les sculptures, les plus grands artistes ont utilisé les drapés, soit parce qu’ils ne voulaient pas montrer le corps par contrainte religieuse, soit pour le sublimer à travers des drapés transparents. Si vous choisissez un voile, il faut réaliser le corps entièrement puisqu’il va l’épouser, pour en dégager sa sensualité. Si au contraire vous voulez cacher le corps ou faire une robe, ne seront visibles que la tête, les épaules et les mains.

 

C'est aussi le voile

Mais à quoi peut bien servir encore un drapé ? À dater et identifier une œuvre, telle cette pièce maîtresse des statues visibles au Musée d'Aquitaine à Bordeaux, celle de l'empereur Claude (41-54) reconnaissable par le drapé de sa toge. L'étude des volumes et du plissé a permis de dater la statue vers le début du premier siècle.

Aujourd'hui, le drapé c'est aussi le voile, à la croisée des civilisations, mis en exergue par le port du voile islamique, le jilbab ou abaya.

 

« Je voile, je suggère, je fais naître le désir, la passion ». Qui mieux que Gaétan de Clérambault (1872-1934) (encadré), psychiatre des hôpitaux de Paris, de1905 à 1934, auteur de La passion des étoffes chez un neuropsychiatre peut parler du drapé ?

 

Jean-Louis Deysson

 

 

La Première Guerre mondiale marque une rupture dans la vie de Clérambault. Dans les tranchées du front de l’Est, il se fait remarquer par sa bravoure. Après avoir été blessé deux fois, convalescent, il séjourne dans la région de Fez, au Maroc, où il demeure jusqu’en 1920 et où il apprend l’arabe. C’est alors qu’il réalise sa monumentale entreprise photographique : plusieurs centaines de clichés consacrés à l’art du drapé marocain. Il s’intéresse aussi à ceux des autres peuples du pourtour méditerranéen. Il établit, à partir de ses observations, une véritable codification, suivant le mouvement de l’étoffe et selon que celle-ci s’attache à l’épaule, au cou, au thorax ou à la ceinture. Le psychiatre se fait ethnographe.

Rentré en France, il reprend ses activités (de médecin psychiatre)  entame une carrière parallèle à l’École des Beaux-arts où, de 1923 à 1926, il donne des cours sur les drapés en s’appuyant sur la masse de documents qu’il a rapportés d’Afrique du Nord. Il en sera le dernier enseignant.

 

 

Gaëtan de Clérambault