Une galerie de glaces

L’exposition bordelaise Des années 80 à aujourd’hui, permet de sensibiliser le public à la beauté à travers des œuvres réfléchissantes de Nestor Perkal.

 

Dans les salles, réservées aux expositions temporaires, de jeunes visiteurs, venus nombreux à la pause déjeuner, sont attirés par les nombreux miroirs imaginés par le designer Nestor Perkal. Une cinquantaine de ses œuvres très diverses y sont présentées.

Tout au long de sa vie, Nestor Perkal fait appel au savoir-faire des spécialistes du verre ou des artisans qui façonnent le métal ou le cuir, pour réaliser les beaux objets réfléchissants qu’il imagine. Il utilise toujours beaucoup de couleurs, inspiré par son pays d’origine, surtout un vieux quartier de Buenos Aires et par ses nombreux voyages. C’est un artiste aux multiples facettes : architecte, scénographe, designer, galériste. Il aménage des appartements pour collectionneurs, ce qui lui permet d’agrandir sa nouvelle galerie, installée dans le Marais.

 

Distorsion du réel

Les miroirs sont les pièces maîtresses de l’expo. Enfant, Nestor Perkal a été marqué par cette coutume : lorsqu’il y avait un mort dans une maison, on recouvrait tous les miroirs, il pensait que c’était pour ne pas se voir pleurer ! Depuis, il se passionne pour ces objets.

Au Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques, il crée une petite boite noire qui contient des supports réfléchissants et donne des images brisées et morcelées. « C’est un outil de distorsion et de transformation du réel. » dit-il. Le verre rond, soufflé, bleu argenté par oxydation, est entouré de gouttes multicolores. Il a été produit à Marseille. On remarque une structure très grande, en métal laqué et plaques émaillées qui colorent la lumière, réalisée pour la Biennale internationale de l’émail, à Limoges, où il est resté quinze ans. « Le miroir, ce n’est pas un objet où on se regarde » dit-il. Les artisans verriers de Murano, sous sa direction, ont produit pour la création artistique du Ministère de la Culture, un miroir en forme de sablier qui a eu le premier prix.

 

Une table qui danse

Des jeunes filles s’approchent d’un ensemble de bijoux : la collection Joyita : un collier fait d’un anneau d’argent agrémenté de plaques d’ambre ou un bracelet très aéré en fils argent et vermeil (2015). Lors d’un voyage au Mexique, Nestor Perkal a appris à travailler l’argent et le métal argenté. Il exécute aussi tout un ensemble, coupe à fruits et objets décoratifs pour une commande en hôtellerie. L’influence de ceux qui travaillent le bois de châtaignier, dans la Creuse, vont l’inspirer pour le lampadaire Fort apache, en rondins de bois et abat-jour en papier kraft (1992) ou sa table à neuf pieds qui se croisent sans aucune symétrie, qui semble danser. Placé tout à côté, Caballito, un groupe de bancs et poufs peu communs, rappelle les selles de cheval des gauchos. Pour cela, il utilise du métal laqué bronze, surmonté de peau de mouton ou bien du cuir et pardessus un tissu artisanal de son pays. Bien d’autres réalisations s’offrent à la vue, toutes aux couleurs vives et gaies comme une série de petites lampes ou un grand tapis en laine marron agrémenté de smarties colorées.

Tous ces objets de design, par leur nouveauté, leur imagination, créés par l’artiste et les artisans d’exception, parviennent à nous montrer et nous faire apprécier ce qui est beau.

 

Encadré 1

En 1982, Nestor Perkal, jeune trentenaire argentin, arrive à Paris. Il a fait des études d’architecte-designer à Buenos Aires, a beaucoup voyagé en Amérique du Sud, Allemagne, Italie. Il ouvre une première galerie, proche de Beaubourg ; il y fera la promotion de nombreux jeunes designers, dont l’artiste français Phillipe Stark ou le groupe italien Menphis (exposition en 2019 au Madd.)

En même temps qu’à Bordeaux, le Musée des Arts décoratifs de Paris, expose : Années 80, mode, design et graphisme en France. La journaliste, Claire Fleury, en parle ainsi dans L'Obs : « Dans les années 80, sous l’impulsion de Jack Lang, ministre de la culture, les arts dits « mineurs » comme le graphisme, le design, deviennent « majeurs ». La créativité, l’impertinence, l’humour, la beauté formelle et la joie de vivre irradient toutes les productions ». D’après la définition, la vision antique de la beauté, c’est la symétrie, l’harmonie qui doit provoquer un plaisir esthétique mais la beauté n’est pas que plaisir des yeux, elle peut être troublante, provoquer un choc émotionnel comme le design, qui doit innover tout en répondant aux contraintes techniques.

 

 

 

Pierrette Guillot

 Toutes les photos sont de Dafydd Sherwin-White et Pierrette Guillot