Miroir, ô beau miroir

Conteurs professionnels, Laura Truant et Adrien Miele nous ouvrent sur ce qu’est la beauté dans les contes et nous offrent un regard nouveau sur des histoires qui en disent beaucoup

Les contes sont des histoires pour enfants qui parlent aux adultes. Un certain nombre d’entre eux expliquent ce qu’est la beauté. Adrien et Laura sont d’accord : « L’objet du conte n’est pas d’abord d’être beau mais de dégager une émotion. C’est pourquoi la beauté n’est qu’un des nombreux thèmes abordés par les contes et lorsque qu’il est abordé, c’est pour mieux nous révéler la nature de l’âme humaine ».

 

Sous emprise

La beauté dans les contes est principalement physique. Il y a des personnes physiquement belles et par contraste, d’autres qui ne le sont pas. Mais Adrien souligne un paradoxe : « La beauté physique cache souvent une noirceur de l’âme. Ceux qui sont beaux extérieurement ne le sont souvent pas intérieurement ». C’est ainsi que le père devenu veuf épouse, dans de nombreux contes, une belle femme qui s’avère être méchante avec ses beaux enfants, la marâtre. On le voit ainsi dans Cendrillon, dans Hansel et Gretel ou dans Blanche-Neige. Le nouveau mari pense que, parce que sa femme est belle à l’extérieur, elle l’est aussi à l’intérieur. Mais le lecteur assiste à un jeu permanent entre l’apparence et la réalité de la personne dont le cœur est laid. « Dans Hansel et Gretel, la nouvelle femme exige même de son mari qu’il abandonne ses devoirs paternels », souligne Laura.  « Il est sous l’emprise de la beauté de sa femme ». Les frères Grimm achèvent leur conte de façon lapidaire : les enfants reviennent à la maison, la femme est morte et le père peut à nouveau les aimer.

À l’extrême, la beauté devient une obsession : la personne devient narcissique et ne pense qu’à être la plus belle. C’est l’interrogation de la belle-mère de Blanche-Neige : « Miroir, ô beau miroir, suis-je la plus belle ? ». « La beauté devient l’objectif unique de vie au point d’être capable de tout détruire autour d’elle. À l’inverse, le héros ne prétend jamais qu’il est beau », remarque Adrien. « Blanche-Neige n’a même pas conscience d’être belle. L’essentiel est ailleurs, dans les relations qu’elle peut tisser, dans le service qu’elle offre aux nains qui l’hébergent, dans son émerveillement devant la beauté de la nature et des animaux au point qu’elle ne comprend pas pourquoi on pourrait lui en vouloir d’exister, ce qui la rend vulnérable à toutes les turpitudes de sa belle-mère », ajoute Laura.

 

Belle à l'esprit vide

Laura montre ainsi que « la véritable beauté révélée dans les contes est celle de l’âme : elle prend des noms différents comme la générosité, le partage, l’entraide, l’humilité mais surtout dans l’acceptation de ce l’on est, avec ses talents et avec ses défauts ». Elle explique que « celui qui veut devenir beau vit souvent des épreuves qui l’amènent à découvrir que les défauts qu’il pensait avoir sont en fait des qualités. Il est à sa juste place ». Elle raconte ainsi l’histoire du Sapin qui voulait être le plus beau (encadré) : « C’est parce qu’il s’est accepté comme il est qu’il devient beau aux yeux de tous. Dans de nombreux contes, souligne Laura, les gens beaux doivent passer des épreuves avant de s’accepter. Si on ne peut transformer son apparence, on peut changer le regard que l’on a sur soi-même en se découvrant tel qu’on est ». Dans La Montagne aux trois questions, un conte raconté par Adrien, « Le héros cherche la raison de sa laideur qui l’exclut, mais c’est en agissant et en s’occupant des autres qu’il s’accepte et est accepté, oubliant même sa question initiale : pourquoi suis-je laid ? »

On remarque cependant que la beauté reste dans les contes un impératif au féminin. Cette beauté permet aux femmes d’être aimées au premier regard : quand Blanche-Neige s’éveille, le prince tombe amoureux d’elle sans même qu’un mot ne soit échangé (avec une version un peu différente chez Perrault et chez Grimm). Dans beaucoup de contes, être belle, c’est pouvoir être aimée. Mais certains évoquent des hommes laids. Riquet à la houppe en est un, il a un gros nez rouge, il est chauve avec juste une houppe sur la tête et il boîte mais il est intelligent et bon. Par contraste, la jeune fille qu’il va rencontrer est belle mais sa tête est vide. Les hommes sont irrésistiblement attirés par sa beauté mais rapidement s’éloignent d’elle lorsqu’ils découvrent sa bêtise. En définitive, elle est très seule. Or l’homme d’esprit a le pouvoir de transmettre sa générosité et son intelligence. Quand Riquet à la Houppe rencontre cette jeune fille belle à l’esprit vide, il lui transmet son intelligence et désormais elle a toutes les qualités et devient attirante. Dans le même temps, ce nouvel esprit lui permet de découvrir la beauté intérieure et l’intelligence de Riquet dont les qualités méritent qu’on l’aime.

En définitive, les contes nous racontent la vie : dans de La Belle et la bête, la bête est belle à l’intérieur et elle n’exige rien alors que la belle demande beaucoup. Sa modestie lui permet d’être aimée. La beauté est subjective. Ce sont les yeux de l’amour qui rendent beau. Être beau rend attirant mais ne suffit pas pour être aimé. Être laid rend l’amour plus sincère et plus profond car il permet d’échapper au risque de devenir un objet de désir. Les contes sont des histoires pour enfants qui expliquent l’essentiel : la beauté est un attribut souhaitable mais pas suffisant.

Étienne Morin

 

 

 

Le sapin qui voulait être beau

 

C’est un petit sapin qui se trouve laid parce qu’il a des épines alors que tous les autres arbres ont des feuilles. Il se fait couvrir de feuilles d’or pour briller plus fort que le soleil, et tous l’admirent parce qu’il est riche, mais dans la nuit, on vient lui voler ses feuilles. Il se fait couvrir de feuilles en verre qui scintillent dans la lumière. Mais toutes se brisent lorsque le vent du Nord souffle en tempête. Le sapin est nu, il a très froid, son manteau d’aiguilles lui manque car il se sentait toujours au chaud grâce à lui. Il réalise alors que ses épines lui conviennent parfaitement et il se sent heureux d’être comme il est. Un jour qu’il neige, il est recouvert de givre et brille. Dès lors tous les arbres de la forêt l’admirent. À retrouver au complet sur You Tube

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