Les avatars d'Anastasie

Heurs et malheurs de la liberté de la presse… Anastasie est le doux surnom donné à la censure depuis la IIIe République. Mais celle-ci a en même temps institué par la loi du 29 juillet 1881 le principe de liberté de la presse.

 

La loi de 1881, concernant la liberté de la presse, a été complétée à plusieurs reprises par trois Républiques.

 

Sous l’Ancien régime, la publication des journaux était soumise à autorisation préalable. Les moyens d’information étaient écrits. Cependant, une transmission orale de l’information existait aussi, qui aboutissait souvent à des rumeurs incontrôlables et invérifiables. La Grande Peur de juillet 1789 en est un exemple : à la suite de la chute de la Bastille, des rumeurs en France se sont répandues que des hordes de bandits, libérés de prison, allaient voler et assassiner dans les campagnes. La loi de 1881 a posé le principe d’une absence de contrôle a priori mais a donné la possibilité de réclamer des dommages-intérêts en cas de publication fausse ou diffamatoire.

 

Tentation

Pourtant un certain nombre de lois, dans le but louable de protéger la paix civile, encadrèrent heureusement la liberté d’expression. Citons la loi Pleven, du 1er juillet 1972, condamnant la provocation à la haine ou à la violence envers des groupes en raison de leur origine. La loi Gayssot, du 13 juillet 1990, a été plus loin, elle condamne : le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie et elle a interdit la négation de la Shoah. Désormais, ils constituent des délits.

De facto, malgré la loi, la censure a été rétablie pendant les deux derniers conflits mondiaux ainsi que pendant les « événements » d’Algérie. Les présidents de la Ve République (pour ne pas remonter plus avant) sont entrés en tentation vis à vis de la censure. Certains y ont franchement succombé, comme durant la période gaullienne, lorsqu’Alain Peyrefitte prenait son téléphone pour dicter l’information aux chaînes de l’ORTF.

François Mitterrand, avec les radios libres et la fin du monopole d’État sur la radio et la télévision, semblait avoir libéré la parole de la presse. Mais la suite, dont le long épisode Mazarine, l’a contredit. La mise en place d’une cellule d’écoute et de surveillance de la presse, suivie de menaces sur certains journalistes, ont jeté un moment noir sur cette période.

 

Pensée unique

La censure brutale a disparu, mais de nouveaux obstacles à liberté de la presse apparaissent : la publicité, la pression fiscale, la concentration financière des titres (comme dans le cas de Vincent Bolloré ou de Bernard Arnault), la menace de procès sont autant de moyens de pression sur les journalistes.

Si on est de droite, on dira que la doxa est dominée par l’idéologie de gauche, et ce depuis des décennies. Souvenons-nous de ces « compagnons de route du PC » qui rentraient d’URSS, éblouis, enthousiastes et naïfs (ou pas) sans aucun recul sur la réalité du régime soviétique. Il y avait Sartre, Aragon, Montand Signoret, Breton ou Edgar Morin et tant d’autres…

Aujourd’hui, ce sont plutôt les gens de gauche qui montrent que l’accaparement des moyens d’information par les groupes financiers fait courir un risque de monopole de quelques-uns sur les médias et leur pluralité.

En réalité, le principal danger pour la liberté d’information est sans doute l’autocensure, avec son cousin le wokisme qui conduit à une forme de pensée unique : les informations sont triées, sélectionnées et prédigérées. À cet égard, il est symptomatique et remarquable d’entendre nombre de journalistes conclure leur reportage en disant : « Ce que vous devez retenir... ».

Anastasie n’a plus de grands ciseaux, elle a changé de modus operandi. Les médias n’ont jamais été aussi nombreux : presse écrite, radio, télévision, réseaux sociaux. Les fakes news pullulent. Mais les informations officielles sont-elles toujours fiables ? Sommes-nous réellement mieux informés ?

À titre d’exemple, et sans trouver la moindre excuse à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, on peut trouver que l’information depuis le début de la guerre est relativement unilatérale, quant au déroulement des opérations, on entend essentiellement un seul son de cloche. Il est vrai aussi qu’il est impossible pour les journalistes d’œuvrer du côté des forces russes.

 

Nouvelles menaces

Alexandra Tauziac, dans le journal Sud Ouest du 3 janvier 2023, montre que certaines images, très réalistes, censées illustrer le conflit en Ukraine sont en réalité tirées du jeu de guerre Arma 3 produits par les studios tchèques Bohémia. En outre, le logiciel permet de faire trembler les images pour leur donner un caractère plus dramatique : un moyen simple et efficace de créer une fausse information. Des logiciels d’intelligence artificielle permettent de transformer des interviews d’hommes politiques en leur faisant tenir des propos radicalement différents de ce qu’ils pensent.

C’est pourquoi la liberté la presse n’est pas un état stable, bien établi et définitif. Elle nécessite une vigilance au long cours. Elle n’est pas un long fleuve tranquille. Ne soyons cependant pas négatifs : la France, selon un classement de Reporters sans frontières, se situe au 26e rang mondial en ce qui concerne la liberté de la presse, ce qui est honorable mais améliorable.

Deux citations de Voltaire. La première est bien connue, même si elle est apocryphe : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. » C’est très beau, mais il a aussi écrit dans une lettre du 23 avril 1764 : « Il y a des vérités qui ne sont pas pour tous les hommes et pour tous les temps. ». De la part de l’un des principaux phares du siècle des Lumières, il y a de quoi nous plonger dans une sombre perplexité.

 

Jean Malbot