Entreprendre comme une évidence

Si, de nos jours, il existe encore un espace de liberté c’est peut-être bien dans la création d’entreprise qu’il faut le chercher.

 

Ils s’appellent Xavier, Arnaud, Julie mais aussi Jérôme et Jenny. Leur point commun : Avoir créé leur entreprise. Et n’allez pas croire qu’elle ne connaît pas la crise. Ils s’y sont frottés depuis trois ans avec la Covid. Ils ont baissés les bras, parfois ; retroussés les manches, toujours ; parce qu’il fallait avancer coûte que coûte.

           

Besoin de reconnaissance

 

« La liberté d’entreprendre a un coût » disait le père de Xavier, lui même artisan, qui lui a appris très tôt la valeur du travail, l’exigence qui en découle et qui va l’encourager à tracer sa propre voie. Il «n’aime pas les ordres » Xavier. Avec son B.P.A(1) - Option Travaux paysagers  il devient salarié et apprend les bases du métier. A 25 ans, « non sans appréhension », il se décide à créer sa petite entreprise. Au début il ne fait que de l’entretien, puis il regarde, il écoute, il bosse et progressivement il évolue vers la création de jardins. « Je ne sais pas faire autre chose » dit-il, mais il le fait bien, c’est « son défi au quotidien », « sa passion ». Aujourd’hui, à 47 ans, il est reconnu comme un « pro », et il en est fier, même s’il sait que pour cela il a parfois négligé sa vie personnelle. Et puis, il aime transmettre ses valeurs à ses apprentis, à ses enfants et on voit dans son regard que ces choses là sont importantes, essentielles même.

Du rêve à la réalité

 

Arnaud lui a 35 ans. Depuis toujours sa passion c’est la nature, la forêt. Son avenir est tout tracé, il optera pour un B.E.P.A(2) – Option élagage. Hélas, très rapidement, il constate que ses rêves ne sont pas au rendez-vous. La mécanisation, la rentabilité à outrance gangrène ce métier qui n’offre que peu de débouchés pour les élagueurs à l’ancienne. Alors, faute de pouvoir en vivre « Ma formation est devenu un hobby ». Ainsi commence une longue période d ‘intérim et de petits boulots. Souvent il se confronte à des métiers difficiles dans lesquels on ne sait pas toujours dire « s’il vous plaît » ou « merci ». Il veut juste un peu de reconnaissance, Arnaud. Aussi, au fil du temps, son envie d’indépendance est devenu trop forte. Ce qui n’était pas envisageable au départ devient progressivement une évidence, et il y a un an, en pleine période Covid, il met à profit toute cette expérience accumulée et démarre son activité de métallerie.« Aujourd’hui je suis seul et cela me force à me débrouiller avec peu. Cela me permet d’innover, d’avoir des idées  » Au bout du compte il s’est découvert et a appris à se refaire confiance, il se sent libre aussi « c’était l’objectif » précise t’il.

Prendre le temps de faire les choses

Elle s’en souvient encore, Julie, de sa première installation sur un marché, au petit matin, sous la pluie froide, pour proposer ses savons artisanaux. Finit l’ambiance ouatée des centres de thalasso. Elle se souvient aussi de ses galères pour convaincre les boutiques déjà établies de distribuer ses produits. Elle avait 25 ans. Avec son Bac Pro d’esthétique, cosmétique et parfumerie, ses différentes spécialisations autour des soins par Hydrothérapie, son but était atteint. Mais la vie devait en décider autrement. Un grave accident du travail, un an et demi d’arrêt,  un licenciement pour inaptitude et tout bascule. Cinq ans après, elle ne regrette rien. D’abord parce qu’elle a eu « un véritable coup de cœur pour le métier de savonnier ». Ensuite parce que cela lui a permis « d’être libre, de créer, de se rapprocher de ses valeurs, de façon plus responsable - un vrai retour à la nature ». Enfin, parce qu’ elle a pu échapper à « une certaine routine, une forme de travail à la chaîne, sans évolution possible ». «J’ai fait des rencontres formidables, appris à prendre le temps de faire les choses moi-même avec toute la satisfaction que cela engendre », dit-elle et de conclure « Quelle belle décision! je suis heureuse du chemin emprunté jusqu’à maintenant...riche de rencontres et de découvertes .

Besoin de s’accomplir

Il a bourlingué Jérôme. Après « un cursus peu commun » -DUT mécanique, maîtrise technico-commerciale, Master de gestion et de management- il démarre dans une petite entreprise en qualité de commercial mais n’a pas vraiment l’idée de ce qu’il veut faire dans la vie. Par amour d’une belle argentine - rencontrée sur les bancs de l’école - il ira tenter sa chance outre Atlantique. Dans « les années 2000 avec cinq présidents en trois ans » l’heure n’est propice à la création d’entreprise » , et il doit rentrer en France, « il ne trouve pas d’emploi salarié, et décide de se lancer avec ce besoin irrépressible de s’accomplir ».De 2005 à 2008, il développe son commerce de produits alimentaires basques mais «je ne m’épanouissais pas dans ce que je faisais »dit-il. Son enfant vient de rentrer à l’école primaire, il a besoin de retrouver du temps pour sa famille. Il vend son affaire – perd un peu d’argent au passage- et rejoint l’ ADIE(3), qui l’avait aidé à concrétiser son projet. En 2015, en parallèle à son métier, il crée une coopérative en lien avec le milieu médico-social, qu’il conservera jusqu’en 2022. Aujourd’hui, conseiller expert, il distille son expérience à ces apprentis créateurs.

 

Les trois piliers de la réussite

Pour Jenny, la quarantaine bien assumée, son objectif de vie a toujours été « d’être utile  aux autres ». Après un D.U.T  G.E.A(4), elle enchaîne en école de commerce à l’IDRAC(5) Paris avec un choix délibéré pour l’alternance et finit par se spécialiser en stratégie marketing à l’ ESSEC(6). A 36 ans, elle passe en « mode super Maman » et décide, au cours d’un énième déménagement « d’aller chercher des clients » susceptibles de la suivre plutôt que de se trouver un emploi salarié à proximité. Elle s’installe en tant que conseil d’entreprise. « Un travail qui me ressemblait » précise t’elle. C’était devenu une évidence, une opportunité à saisir pour encore mieux se construire. Puis en 2020, juste avant la Covid, elle décide de s’engager plus à fond et se présente sur la liste d’Emmanuel Sallaberry pour les municipales de Talence. Élue, elle devient conseillère municipale à la création d’entreprise. Dans le même temps elle est approchée par l’ ADIE  qui recherche un nouveau conseiller spécialisé dans l’ accompagnement.  Plus que quiconque elle connaît les besoins, les motivations de ces créateurs de tout bord qui la sollicitent. Elle connaît aussi les écueils et les aident à formaliser leurs projets  sur la base de trois piliers « Objectif, action et suivi».

 

Cette liberté est fragile. Les institutionnels l’ont bien compris qui développent de plus en plus des structures adaptées aux besoins de ces fondateurs qui font le véritable tissu de notre activité économique. A la question :Vous sentez-vous libre ? Julie répond, des papillons dans les yeux « Plus que jamais !»

Alain Lafitte

 

 

 

(1) - B.P.A : Brevet Professionnel Agricole -  Bac Pro actuel

(2) - BEPA : Brevet d’Études Professionnelles Agricole

(3) - ADIE : Association pour le Droit à l’ Initiative Économique

(4) G.E.A : Gestion des Entreprises et des Administrations

(5) - IDRAC : Integrated Dell Remote Access Controler

(6) – ESSEC : Ecole Supérieure des Sciences Économiques et Commerciales

 

Encadré

Maria Nowak : De sa rencontre avec Muhammad Yunus - Économiste, entrepreneur bangladais et prix Nobel de la paix en 2006 - naît la conviction qu’avec de petits prêts, on peut redonner à des hommes et à des femmes sans emploi et sans capital, les moyens de prendre confiance en eux et de bâtir leur avenir, en créant leur activité économique.

Son credo « Pas de don, du crédit. Pas de charité, de la remise au travail »

En 1989, avec deux bénévoles, elle crée L’ ADIE. Elle en restera présidente bénévole jusqu’en 2011. Elle est décèdée le 21 décembre 2022 à 87 ans

En 2022, l’ADIE Nouvelle Aquitaine a prêté 13,5 millions d’Euros à 2739 personnes sous forme de micro-crédits et de prêts d’honneur.

 

En 2022, La France a enregistré 1,072  million d’immatriculation dont 61 % d’auto-entrepreneurs. Au bout de 5 ans d’activité, Le taux de réussite reste supérieur à 50 %.