Edito

Jean-Paul Taillardas

 

Priver l’individu de sa liberté, c’est la pire des sanctions pénales. En tout cas, depuis qu’ont disparu ces peines et ces lieux dont on égrène les noms avec effroi : relégation, bannissement, travaux forcés, bagne, et, bien sûr, ce que Ferré nommait « l’horreur civile », la guillotine. Et ne parlons pas des supplices vengeurs que certains régimes souvent théocratiques, remettent dans l’actualité.

En France, la liberté fait aujourd’hui partie, selon la formule convenue, de l’ADN de la République. Elle est la première des valeurs énoncées dans la devise républicaine ; elle est « chérie » dans La Marseillaise ; elle est inscrite dans notre histoire à travers la déclaration des Droits de 1789 et de ceux de l’Union européenne ; elle est évidemment nécessaire s’agissant de la presse, de l’opinion, du syndicalisme, du droit de grève etc. 

Pour autant, n’est pas aussi libre qu’il le croit, l’individu non emprisonné. Le mauvais sort peut même s’abattre collectivement sur la société comme lorsque le Covid la confina pendant de longs mois la privant, de facto, de toute possibilité de circulation. Mais il y a aussi tant et tant de guet-apens qui enclosent l’individu plus sûrement que la punition cellulaire ; handicaps physiques, mentaux. Ou ces bagnes immatériels : le chômage, la pauvreté, l’exclusion, la misère, la faim, le mal logement, jusqu’à, lorsqu’on a la chance de vivre longtemps, l’inéluctable vieillesse et toutes les impotences qui parfois l’escortent et nous enferment. Autant de barrages sociaux, autant de bornes grégaires paralysant l’autonomie dans la vie. 

La liberté, c’est aussi pour les uns, celle d’entreprendre, de peindre, de sculpter, de versifier ; pour d’autres de voyager, de courir, de plonger. « Jouissez sans entraves » criaient les soixante-huitards énivrés de barricades et axphyxiés de gaz lacrymogènes. On sait ce qu’il advint de ces injonctions au plaisir lorsque sonna la fin des Trente Glorieuses : une accumulation de crises, énergétiques, sociales, financières, écologiques dont nous vivons l’aboutissement ultime avec le suicidaire réchauffement climatique auquel chacun contribue, évidemment en toute liberté. 

Il ne s’agit pas d’être mauvais prophète. Mais on ne sait combien de temps nous pourrons toutes et tous continuer à vivre la bride sur le cou. Ne parlons pas des nécessaires ajustements qui nous seront imposés par l’obligation de préserver l’avenir de la planète. Mais, sur le plan politique, on voit bien combien les tendances autoritaires se développent dans le monde. Quant à nous, patrie des droits de l’humain, nous ne sommes à l’abri d’aucune débâcle démocratique. Les fausses informations qui prolifèrent sur le mauvais terreau de l’inculture font naître de sinistres hérauts qui s’accommoderaient bien d’une dictature pour peu qu’elle soit entre leurs mains. L’abri de la Constitution et des lois, sous lequel nous nous croyons réfugiés, est bien fragile et nous devons prendre garde à ce qu’il reste solide. « Soyez donc résolus à ne plus servir et vous serez libres » affirmait le Sarladais La Boétie qui s’interrogeait dans son fameux Discours sur la servitude volontaire sur la passivité de ses contemporains face aux tyrannies qui interdisaient toutes libertés.

Comme le monde est petit, c’est sans doute en Périgord que, près de quatre siècles plus tard, Paul Éluard écrivait dans un de ses poèmes les plus célèbres :  

« Je suis né pour te connaitre, 

Pour te nommer, 

Liberté. » 

Justement. En ces temps incertains où il semble, ici, là, ailleurs, de plus en plus subsidiaire, le défi est moins de nommer l’objet « liberté » que d’imaginer en quoi il résonne en chacun de nous. Pour ne surtout pas en être privés.