L'huitre, de grand-père en petit-fils

Comment passion, authenticité et savoir-faire animent la vie d’une équipe d’ostréiculteurs au rythme des marées ? Une journée avec les frères Vigier sur le bassin d’Arcachon.

 

Ludovic, Fabrice et leur grand-père
Ludovic, Fabrice et leur grand-père

Les bords des cabanes qui longent les canaux du port de Larros laissent encore apparaître les effets envahissants et inhabituels de la grande marée de fin février, renforcée par la tempête Xynthia. Ce 3 mars, malgré le froid, Fabrice et son épouse Géraldine, Ludovic et leur père effectuent les derniers préparatifs de chargement d’huîtres calibrées et mises en poches, en quête de saveurs océanes. Cap sur le banc d’Arguin : c’est l’occasion pour eux de répondre à quelques questions de L’Observatoire.

L’Observatoire : C’est une affaire de famille ?

Fabrice : — Oui, mon frère, mon épouse et moi avons repris l’exploitation et les concessions de mon grand-père maternel. Mon père, maintenant en retraite, donne souvent un coup de main.

Pourquoi avez-vous repris l’activité ?

— L’amour du Bassin, une grande complicité avec la nature et le respect de l’environnement. L’aventure commence tôt, on aime ou on n’aime pas la vie du Bassin : mon grand-père nous a souvent fait partager ses ressentis, son regard sur l’évolution du métier, l’écoute et l’observation du milieu. Puis, après un parcours d’études en agro-alimentaire, le retour aux sources m’est remonté à la tête. Au début, il y a huit ans, j’ai pu exercer avec lui tout en ayant un œil critique sur l’organisation.

Ludovic : — Je l’ai rejoint à la sortie de mon bac pro Industrie filière bois. Aucun rapport ! Tout comme mon frère, ce n’est pas la formation mais l’envie qui m’a guidé.

Comment se déroule votre activité ?

— Pour « faire une huître », il faut trois ans : elle revient six à sept fois à la cabane. Du chaulage des tuiles à la récolte des larves ; après le détroquage, maintes manipulations sont nécessaires tout au long de leur croissance avant la mise en vente : séparer celles qui sont agglomérées, le « désatroquage » ; les répartir sur les parcs où elles grossissent ; les reprendre pour les classer par catégorie, c’est le calibrage ; puis les parquer à nouveau avant de les emballer pour les vendre à la cabane.

Fabrice : — Pas de journée type, c’est ça qui est bon ! Notre bible, c’est le livre des marées qui rythment notre travail, été comme hiver, qu’il y ait du vent, du soleil ou de la pluie comme maintenant, sans craindre de mettre les pieds dans l’eau ni de mouiller nos équipements marins. Aujourd’hui, nous profitons de ce coefficient de marée encore important pour installer les poches d’huîtres, c’est moins dur pour les fixer à marée basse.

Au milieu du Bassin, un moment de quiétude s’installe à bord. Il fait bon respirer l’air marin en prenant le casse-croûte sur le pouce. La conversation reprend :

Comment voyez-vous l’avenir de l’ostréiculture sur le Bassin?

Fabrice : — D’un point de vue intellectuel, maintenir un patrimoine culturel ; d’un point de vue financier et familial, arriver à s’en sortir, et puis être en corrélation avec les usagers du Bassin. C’est la conjonction de plusieurs paramètres pour faire en sorte que le Bassin ait un second cycle de vie, comme autrefois. Continuer à faire déguster des bonnes huîtres ! Cela passe par la considération des ostréiculteurs porteurs de messages écologiques, garants de l’environnement et de la richesse économique de ce site : un équilibre à trouver entre les élus en quête de voix, les autochtones en recherche de sauvegarde de leur mode de vie et les promoteurs d’accueil touristique. Ces questions n’ont pas été posées au siècle dernier, il faut un fil conducteur pour guider l’ensemble.

Le test de la souris n’est-il pas venu troubler l’ostréiculture du Bassin ?

— Cinq semaines d’interdiction de vendre, quatre millions et demi d’euros prévus pour analyser plus en profondeur les causes de la mort des souris testées : bilan, ces souris mortes sont encore dans les congélateurs sans avoir été autopsiées. La grande distribution dévalorise nos produits et plus de soixante exploitations n’ont pas survécu à ces effets d’annonce. Depuis janvier 2010, IFREMER* a mis au point un test chimique plus fiable : la qualité de nos huîtres est confirmée. C’est effectivement très troublant !

 

Annick Blanchet

 

 

* IFREMER : Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer