Or d'eau

Anne Ziegler, conservateur en chef des collections antiques du Musée d'Aquitaine ( photo D. Sherwin-White)
Anne Ziegler, conservateur en chef des collections antiques du Musée d'Aquitaine ( photo D. Sherwin-White)

 

4 000 pièces de monnaie de l'Antiquité romaine, livrées par la Garonne en 1965, sont aujourd’hui réunies au musée d’Aquitaine.

 

Parmi les merveilles que réservent les collections du musée d’Aquitaine de Bordeaux, l’une d’entre elles attire particulièrement l’attention.

Un véritable trésor ! 57 ans après leur découverte fortuite dans les profondeurs du fleuve Garonne, en 1965, 4 000 pièces de l’Antiquité romaine, jusqu’alors dispersées, sont enfin dévoilées au public, dans le cadre d’une exposition permanente.

Une fabuleuse, passionnante et incroyable histoire que Madame Anne Ziegle, conservateur en chef des collections antiques du musée, a bien voulu raconter.

L’Observatoire : Comment le trésor de Garonne a-t-il été découvert ?

Anne Ziegle : Il a été trouvé tout à fait par hasard au fond de la Garonne, à hauteur de Quinsac, alors que l’on draguait du granulat. Les monnaies dorées n’étaient pourtant pas d’or mais d’orichalque, un mélange de cuivre de zinc et d’impuretés. Pour autant, il n’a pas été facile pour le musée de les récupérer même si toute trouvaille archéologique, trouvée dans le fleuve, appartient à l’État.

Robert Étienne, professeur émérite de l'Université de Bordeaux III, historien, archéologue et Marguerite Rachet, numismate de renom, s’y sont employés. Un tiers des pièces a été attribué à l’Université pour l’enseignement de la numismatique et les deux autres tiers au musée d’Aquitaine, dans l’optique de les réintégrer un jour dans leur totalité, ce qui s’est finalement fait.

Que sait-on de l’origine du trésor ?

Il s’agissait de la cagnotte d’un marchand relativement aisé qui possédait une embarcation plutôt opulente, un acatus, vaisseau marchand à proue éperonnée pour éviter les troncs d’arbre ; ce que l’on peut déduire en fonction du tonnage et du nombre de monnaies trouvées. Il s’agissait donc d’un trésor marchand mais nous ne savons malheureusement pas à quoi était destinée la cargaison. On ne sait même pas si le bateau était chargé ou à vide lorsqu’un incendie a provoqué son naufrage entre les années 159 et 161.

Mais on estime qu’à peu près 1 000 monnaies se sont perdues.

Comment l’ensemble de ces pièces a-t-il pu être sauvé ?

Certains dragueurs y ont contribué. Mais surtout la volonté de Robert Étienne qui a réalisé un travail d’une efficacité colossale. Il a mobilisé la préfecture, la police et a obtenu délégation pour aller récupérer les monnaies.

Au total 3 997 monnaies ont ainsi été trouvées entre 1965 et 1970, lors d’une seconde campagne de fouilles autorisée par l’État.

Quelques monnaies draguées ont malheureusement été revendues à la sauvette. D’autres n’ont pu être repéchées parmi les granulats. Des personnes qui avaient acheté ces graves ont curieusement retrouvé des monnaies dans la préparation de leur mortier !

Certains de ces particuliers en ont fait don au musée. C’est ainsi que nous avons pu collecter au total 4 000 pièces.

 

Pour l’anecdote, il faut savoir que l’extraction des sables et des graviers a pris une expansion considérable avec le boum économique et les constructions. Ainsi le pont d’Aquitaine notamment en contient.

Comment les numismates ont-ils pu identifier l’origine des pièces composant le trésor 

Nous avons trois types de monnaies courantes : les sesterces, les dupondi (un demi-sesterce) et des as. 

Marguerite Rachet a supervisé leur tri selon la titulature, inscription gravée le long de la bordure externe de la pièce, et les effigies de l’empereur concerné, Claude, Trajan, Hadrien, Antonin. Chaque pièce a été photographiée, décrite et répertoriée dans une base de données. Après 1970, Robert Étienne a publié une étude scientifique très exhaustive quant à l’analyse de l’économie de l’époque.

Les pièces sont-elles suffisamment lisibles ?

Elles sont souvent très usées car elles ont servi : très pâles et pas du tout oxydées s’il y a beaucoup de zinc, plus verdâtres lorsqu’il y a plus de cuivre et qu’elles ont brûlé davantage, ce dont témoignent les cloques sur leur surface. Enfin extraites de l’eau par un godet à mâchoires, elles ont parfois été pincées et malheureusement déformées. Les plus anciennes sont difficilement identifiables. Pour autant, le portrait de l’empereur se devine bien. Si la titulature est bien conservée, il est plus facile de reconstituer le reste. Un sesterce d’Antonin le Pieux datant de 159 et trois pièces de Faustine la jeune, sa fille, datant de 156 et 161 ont été identifiés. Les empereurs de la Rome antique utilisaient les monnaies dans un esprit de prosélytisme pour dire qui ils étaient, à quelle famille ils appartenaient, ainsi que leurs réalisations et conquêtes. Au revers, figuraient les valeurs qu’ils voulaient véhiculer dans tout l’Empire romain au cours de leur règne.

Les vestiges n’ont-ils pas été altérés durant leur long séjour sous-marin ?

Au contraire l’eau conserve. En fait l’oxydation provient de l’oxygène qui altère le métal. Les monnaies qui étaient brillantes comme l’or ne le sont plus. Nous avons d’ailleurs mis du gel de silice dans les vitrines afin que l’humidité contenue dans l’air n’oxyde pas davantage les pièces.

En quoi cette découverte s’avère-t-elle exceptionnelle ?

C’est un trésor exceptionnel par sa date et par son ampleur. Il s’agit du plus volumineux trésor de l’Empire romain occidental. En général, les trésors sont constitués en temps de crise. Ici ce n’est pas le cas. Il s’agit de la chute accidentelle d’un coffre lors de l’embrasement du bateau.

Ensuite, la richesse des informations économiques et politiques y contribue grandement.

Pourquoi a-t-il fallu attendre 60 ans pour voir le trésor enfin exposé au musée ?

Il a, dans un premier temps, été exposé à l’Hôtel de ville en 1984 puis à Nantes et Paris dans le cadre d’une exposition itinérante. À l’ouverture du musée en 1991, en lieu et place de la Faculté de droit et des lettres, le rez-de-chaussée a été dévolu à l’archéologie de la Préhistoire au XVIIe siècle. À cette époque, les deux tiers du trésor étaient déjà exposés Aujourd’hui l’ensemble du trésor est reconstitué et présenté au public.

Peut-on imaginer qu’un autre trésor puisse un jour être découvert dans le lit de la Garonne ?

Non car on ne peut plus draguer la Garonne depuis 1984 pour la protection de l’environnement. La Garonne ne livrera plus aucun trésor de ce type. Mais celui-ci est suffisamment important, protégé par le label " Musée de France " et par la loi de finance nationale. Il est déclaré inaliénable et ne peut sortir du territoire sauf pour un prêt consenti par l’État.

Toutefois la collection peut être prêtée à d’autres musées de France. Mais c’est un immense travail : il faut compter les monnaies au départ, à l’arrivée. Par ailleurs il faut être très prudent par rapport au plomb et à l’arsenic contenus dans les pièces qui peuvent provoquer des intoxications.

Comment favorisez-vous la connaissance de cette richesse exceptionnelle ?

Nous organisons des visites commentées ponctuelles pour des groupes ou pour les Amis du musée. Nous avons aussi des visites thématiques Une manifestation grand public est prévue prochainement. Un préhistorien présentera le trésor de Tayac, monnaies d’or gauloises de 350 avant J.C. Je présenterai pour ma part le trésor de Garonne. Nous favorisons l’articulation de ces deux trésors riches d’enseignement même si le trésor de Tayac possède plus d’inconnues que celui de Garonne.

 

Enfin nous organisons aussi un parcours sensoriel pour les personnes atteintes de handicap et plus particulièrement pour les non-voyants. Prochainement, nous leur proposerons des fac-similés de monnaies agrandies, emblématiques de ce trésor qu’ils pourront ainsi toucher et lire.

Dominique Beutis