La lamproie errante

Lamproie de rivière. Sa peau visqueuse ne comporte pas d'écailles (créative commons)
Lamproie de rivière. Sa peau visqueuse ne comporte pas d'écailles (créative commons)

Hôte emblématique de la Garonne, la lamproie a beaucoup à raconter, du jour de sa naissance à celui où elle est pêchée

 

Par Héliette Sicilia 

Agnathe tu es, agnathe tu mourras, toutefois je préfère t’appeler par ton nom d’usage, lamproie. Tu es essoufflée, tu reviens de loin ? Raconte-moi, poisson protégé des hommes, tes nombreuses aventures depuis ta naissance en Garonne, un certain mois d’avril jusqu’à ce jour. Oui, je veux tout savoir sur toi !

 

Physique ingrat

« Tu veux entendre mon récit, alors approche-toi. Si je suis tout époustouflée, c’est que je viens d’éviter un piège qui aurait pu me conduire tout droit chez le poissonnier, je te parle d’une nasse.

Ècoute-moi bien, je tiens à vivre encore quelque temps pour continuer mes pérégrinations, car oui une ordonnance d’avril 2023 prévoit la suspension de la pêche à la lamproie en eau douce en Gironde. En attendant le jugement définitif, je reste très prudente. Te rends-tu compte, pour mes congénères et moi-même un danger est écarté, plus de nasses ! Mais d’autres obstacles subsistent.

Comme tu peux le voir depuis la berge, mon physique est ingrat, mais avec ma ventouse buccale je peux tout faire, comme mes géniteurs. Eux sont morts rapidement après ma naissance, c’est la destinée de tous les parents de mon espèce.

Petit alevin dans la frayère, je n’étais pas mieux lotie, pas d’yeux à cette époque, habitat restreint dans le substrat. Puis, les jours passant, je me suis métamorphosée.

À sept ans, j’ai décidé que c’était l’âge de raison et qu’il était temps de partir. Je quittais donc les eaux de la Garonne pour entreprendre la dévalaison vers la mer. J’étais toute joyeuse, de nouveaux horizons s’offraient à moi et… d’autres frayeurs aussi.

 

Transport gratuit

C’est à cette époque que je suis devenue parasite et prédatrice surtout auprès des poissons migrateurs.

Un beau jour, devenue adulte, j’ai décidé de revenir chez moi en Garonne. Pourquoi ? Pour pondre… hum. Je m’accorde encore un temps de réflexion. Je suis une lamproie indépendante, autonome, " femelliste ʺ. 

Pour la remontée des courants, j’ai accompli le voyage, accrochée par ma ventouse buccale à une perche (j’ai saisi l’occasion au passage) et à un sandre, toutefois j’aurais préféré un saumon. Non seulement le transport était aussi gratuit mais le repas sanguin plus savoureux.

Née sous une bonne étoile, petite et malicieuse, je jouais un jour avec mes camarades lorsque nous fûmes prises par surprise dans un filet. Objet inconnu jusqu’alors. Là, sur leur bateau, je fis la connaissance de deux pêcheurs, très bavards. J’appris que nous, les lamproies, étions comestibles, vendues vivantes chez les poissonniers ou aux conserveries pour être mises en conserve. Je fus pesée, puis remise à l’eau, car trop petite. Ouf !

Les autres dangers viennent des habitants de la Garonne. Des poissons, surtout les silures. Tu connais ? Ce sont de gros poissons effrayants. De prédatrice, je deviens alors proie. La pollution et les pesticides n’épargnent pas les eaux de la Garonne.

Au fil de l’eau, à ma fin de vie de lamproie, je pense. Est-ce que je préférerais mourir après la ponte en choisissant mon mâle ou bien être dévorée par un prédateur, ou bien coupée en morceaux, cuisinée et mise en boîtes… en bière ?

Adieu Garonne, mère nourricière, mon destin est tout tracé. Je t’en supplie, veille au repeuplement et à la survie de l’espèce des agnathes, cette race aquatique si primitive.

 

 

 

 

Une bouche ronde aux nombreuses dents qui permettent à la lamproie de percer la peau des poissons hôtes (créative commons)
Une bouche ronde aux nombreuses dents qui permettent à la lamproie de percer la peau des poissons hôtes (créative commons)

La recette de lamproies en conserve d'Héliette Sicilia

-10 lamproies pelées

9 bouteilles de vin de qualité de 75 cl

1 cageot de poireaux, utiliser le blanc

Sel, poivre, farine, cognac, bouquet garni : persil, laurier, thym           

1 plaque de chocolat noir à cuisiner             

Le jour même :

. sortir les têtes, les branchies et vider les lamproies

. couper les lamproies en morceaux de 7 cm

. poser les morceaux sur une grille au-dessus d’un plat, récupérer le sang et les placer au réfrigérateur

Le deuxième jour :

. fariner les morceaux de lamproies, les poêler, les saler et les poivrer

. compter le nombre de morceaux

. mettre du cognac dans une casserole 2 cm environ, chauffer, flamber et verser sur les morceaux placés dans des saladiers

. couper le blanc des poireaux en morceaux de 7 cm (leur nombre doit être égal au nombre de morceaux de lamproies)

. poêler le blanc des poireaux, saler, poivrer (ne pas laisser roussir les morceaux)

. laisser refroidir lamproies et poireaux dans les saladiers et mettre au réfrigérateur

. pour mémoire : temps de cuisson 1 heure pour les lamproies et 1 heure pour les poireaux

Le troisième jour :

. dans un faitout chauffer le vin et le flamber (éteindre la hotte aspirante)

. ajouter les morceaux de poireaux avec bouquet garni

. porter à ébullition à 3 reprises (arrêt, attendre et remettre à chauffer)

. sortir les poireaux

. mettre à la place les morceaux de lamproies et porter à ébullition à 2 reprises

. enlever les morceaux de lamproies et bouquet garni après refroidissement

. faire bouillonner le vin

. râper la moitié d’une plaque de chocolat noir, le passer dans un tamis au-dessus du fait-tout, ajouter une louche de vin pour diluer et mélanger le vin et le chocolat

. passer également dans le tamis au-dessus du faitout le sang des lamproies conservé dans le bocal, fluidifier-le avec quelques louches de vin et mélanger vin, chocolat et sang

. faire bouillir le tout, ajouter un peu de farine pour épaissir la sauce, rectifier éventuellement l’assaisonnement en sel et poivre

. laisser refroidir complètement

. remplir les bocaux de 1 litre de morceaux de poireaux et de lamproies, leur nombre doit être identique et ajouter la sauce

 

. stériliser 1 heure ¼ maximum