Signes et insignes

Ouvrons le dictionnaire des synonymes. Au mot tenue nous lisons : « manière, maintien, correction, discipline, ordre, décence, dignité ». Focus sur l’uniforme militaire.

 

Cuirassier français jusqu'en 1915, casque lourd Adrian, képi de poilu de 1914 et militaires en uniforme

( D. Hilloulin et D.R.)

Gâârde à vous ! Sur les torses bombés, les uniformes se donnent à voir. À cet instant, l’œil avisé décèlera dans les tenues cérémonieuses un faisceau de signes révélateurs. Décryptage avec Alain Porchet, historien, ex-militaire, dont une période au Service historique de la Défense.

 

Une identité collective

La formule est d’Alexandre Rigal*. Le chercheur cadre ainsi son propos : « L’uniforme est un signe de distinction sociale envers des civils, envers les autres ».Souvenez-vous, à cet égard, de votre premier jour de jeune appelé sous les drapeaux ! Débarquant en costume civil, le jeune conscrit se retrouvait nu devant un aréopage militaire .Quelques heures plus tard, encaserné, il faisait connaissance avec sa nouvelle apparence. Séisme des repères ! Entre-temps, on l’avait inspecté au corps, nanti d’un paquetage complet, et on l’avait « coupé »**. Dès potron-minet, il pouvait même s’entendre répéter « Ah ! Là, ça a de la gueule ! » ou encore « Ici, s’agit pas de ressembler à des charlots ! ». Puis on lui apprenait à marcher dans ses nouveaux habits, à les entretenir, à y accomplir des rites de passage récompensés (fourragères, insignes, galons). Enfin, ce nouveau costume s’appliquait, sine die, à tous et à chacun. L’unie-forme !

 

Corps, esprit (de corps)

Dès lors, au fil des jours et des évènements de la vie militaire, la tenue « parle » et livre ses codes. Ainsi, autrefois, les plumes multicolores du lansquenet ou la queue de cheval sur le casque du cuirassier signaient l’appartenance à un corps, dans une époque donnée. Idem en ce qui concerne les bérets, rouges ou verts, des parachutistes et des commandos de la guerre moderne. L’adjonction d’un insigne consacre, sur leur deuxième peau, un mérite gagné par lui-même ou acquis par tradition. Il s’agit là d’affirmer, ostensiblement, des valeurs caractérisées sur le vêtement. Alain Porchet insiste sur ce point : le porteur « met ses pas dans ceux des anciens. Il les respecte et honore la noblesse de leur combat, ainsi que les causes qu’ils ont défendues ». Dans le même esprit, les attributs de la tenue exaltent les exploits des corps d’élite. En témoignent, lors des défilés, casques blancs des légionnaires, bérets verts portés à l’anglaise, car ces emblèmes en tissu font référence à des campagnes qui ont marqué leurs régiments, l’Histoire. Et de citer quelques faits d’armes célèbres : Arnhem, Seconde guerre mondiale, Indochine, Bir Hakeim, Kolwezi, bataille d’Alger etc.

 

Et… aujourd’hui ?

Certains objecteront que ces références sont datées, que le pantalon garance des poilus n’appartient plus qu’aux livres d’école et aux commémorations. D’autres ajouteront que le service militaire ne conscrit plus depuis quarante ans. D’autres encore que l’art suprême du combattant, c’est, de nos jours, l’efficacité en se camouflant. Enfin, les plus renseignés évoqueront les caméras, les drones, bref la guerre moderne à distance ! Alors, quid de l’uniforme, ayant cédé sa place au treillis – sans visibilité ni apparat – à portée d’achat du consommateur ? Alexandre Rigal en reconnaît la perte de prestige et modère son point de vue initial de distinction vis à vis des civils. D’ailleurs, l’évidence force l’observation. Allez, ouvrons un onglet relatif aux « Vêtements hommes hiver 2016 » sur Google. En un clic, nous obtenons des séries de jogging camouflage signés, des déclinaisons de parkas kakis ou sable, des vestes zippées style militaire, des banned, des trench à épaulettes, et autres blousons « esprit bomber ». Les dames n’y sont pas en reste : robes, vestes ou manteaux « officier », rangers. Voir aussi dans le domaine du cinéma ou des jeux vidéo : par exemple Lara Croft, aventurière dans Tomb Rider, revêt des tenues paramilitaires pour sauver l’univers.

 

De l’apparat à la parade

L’uniforme fastueux a pris fin en 1915. Son aura d’antan subsiste surtout lors des cérémonies. En revanche, les valeurs militaires sont restées ! Car les valeurs se jouent des modes surannées !

 

Dominique Hilloulin

* Sciences politiques Lyon

** passage chez le coiffeur