Effet bleu

Photos des archives de Bleu de Lectoure

Quand, à partir du vert, les fées du bleu créent des effets bleus, vous restez « bleuffés »

 

Rouge, orange, jaune, vert, bleu, indigo et violet, les couleurs de l'arc-en-ciel chamarrent nos vêtements depuis des siècles. Aujourd'hui, colorants industriels ou de synthèse permettent toutes les fantaisies mais les pigments naturels chassés reviennent au galop. La garance pour des rouges d'exception, la galle pour des noirs profonds, le curcuma ou le safran pour d'étonnantes nuances de jaune, l'indigo et le pastel pour des camaïeux de bleu. Essayez, surprises garanties.

 

Pays de cocagne

Chacun connaît le triangle d'or et sa sulfureuse réputation mais connaissez-vous le triangle bleu du Pays de cocagne ? Albi-Toulouse-Carcassonne. Au XVIe siècle, d'avril à juin, les champs du Lauragais se paraient de fleurs jaunes venues d'Asie centrale et cousines de la moutarde ou du chou, l'Isatis tinctoria ou guède considérée comme le meilleur pastel d'Europe. Imaginez les échanges et les fortunes amassées autour de la pâte préparée à partir de ses feuilles écrasées, lou pastel en patois. Le nom était né et les fastueuses demeures des négociants devinrent dans la ville rose les fameux hôtels pasteliers. Cependant bien longtemps auparavant les Égyptiens teignaient déjà à la Guède les bandelettes qui protégeaient leurs momies. Napoléon, désireux de vêtir tous ses soldats en bleu pastel créa à Albi une école pour l'extraction de la fécule colorante des feuilles. Mais pourquoi Pays de cocagne ? Les feuilles d'un vert profond lavées dans un ruisseau puis séchées étaient transportées au moulin pastelier où, moyennant redevance, d'énormes meules tractées par mules ou ânes en exprimaient la pulpe. Ensuite le pastel modelé à la main était mis en boules ; les coques ou cocagnes séchaient sur des clés ou au sommet de mâts pour décourager les voleurs. Essayez donc de grimper au mât de cocagne ! C'est alors qu'entraient dans la danse les marchands de pastel. Ils écrasaient les coques, les mouillaient le plus souvent d'urine pour provoquer la fermentation et les malaxaient à la pelle. Imaginez l'odeur ! C'est ainsi que s'obtenait, après séchage, une poudre noire, transportable en barils ou en sacs, dont les propriétés colorantes se conservaient au moins une dizaine d'années. Bon voyage à travers toute l'Europe !

Mais au XVIIe siècle, avec l'arrivée de l'indigo des Indes, la culture du pastel en Europe décline jusqu'à s'éteindre presque totalement.

 

Fées du bleu

Dès 1994, à Lectoure, Henri Lambert architecte décorateur belge tente l'aventure du bleu. Dans les anciennes tanneries, il installe bacs, cuves et teintures. L'épopée durera jusqu'en janvier 2016. Fini le bleu de Lectoure ? Certes pas. Un cultivateur du lieu, Jean-Marie Neels propose à Cécile et Séverine, anciennes employées de la teinturerie, de s'associer pour perpétuer la tradition. Il cultive l'Isatis tinctoria. Elles sont les alchimistes. Stage en Aveyron chez M. Garcia, grand maître es teinture, transformation d'une pizzéria en atelier boutique* et les voilà opérationnelles. Poussez donc la porte. L'ensemble fleure bon la vie en bleu. Sur les étagères et les cintres vêtements, cosmétiques, peintures et produits beaux-arts anoblis par le pastel. Tout près, on devine les faïences bleutées de la salle de teinture. De l'autre côté l'antre des fées alchimistes. Elles vous invitent à entrer pour participer à un moment de magie. C'est le mystère du 3 : 3 ingrédients, 3 trempages. Attention ! Dans le tamis prenez 1 cuillère de poudre noirâtre et granuleuse, le pigment, ajoutez-y 2 cuillères de fleur de chaux et 3 de fructose, un peu d'eau préalablement bouillie pour éliminer l'oxygène dissous. Vous avez sous les yeux une mixture verdâtre fort peu engageante. Versez-la dans la cuve de teinture. Au contact de l'air, remonte en surface une belle mousse bleutée «  la fleurie de pastel » qu'un élève de Léonard de Vinci eut le génie d'utiliser pour fabriquer les crayons éponymes. Abracadabra, encore un petit tour, la teinture est prête. Vous avez décidé de colorer un foulard, lin, coton, fibre naturelle dans tous les cas. Plongez l'objet dans le mélange, délicatement, pas de bulles, oxygène égale tache. Essorez, rincez. C'est jaune verdâtre ! L'horreur. Mais au contact de l'air, votre pièce évolue un peu. Ouf ! Renouvelez deux fois l'opération et le tour est joué. Vous repartez avec votre foulard si bleu et le souvenir d'un moment précieux partagé avec des fées d'exception. Longue vie à la boutique du bleu et aux ambassadrices du pastel de Lectoure.

Dany Guillon

 

* Bleu de Lectoure 55 rue Alsace-Lorraine 32 700 Lectoure