Intime conviction

Thémis, déesse grecque allégorie de la justice. La balance marque son impartialité, le glaive l'application de la peine et le bandeau son impartialité

Par Dominique BEUTIS

 

Un juré se souvient de l’expérience hors du commun qu’a constitué sa participation à un procès d’assises.

 

La loi fait obligation aux jurés de répondre à une seule question « Avez-vous une intime conviction ? » mais cette question traduit à elle seule la mesure des devoirs et des responsabilités qui leur incombent.

Chacun s’est certainement demandé un jour : « Et si c'était mon tour d’être tiré au sort ? »1

Pour Victor M1, enseignant retraité, le rôle de juré a commencé de la même manière que pour tous les autres : la réception d’un courrier lui confirmant sa présence exigée au Tribunal de Bordeaux.

Trois affaires étaient inscrites : meurtre, tentative d’assassinat, viol.

Durant tout le temps nécessaire à établir la vérité, il devra écouter, regarder, noter, sans rien dévoiler de ses émotions jusqu’à se forger une intime conviction et au bout du compte juger.

 

— L’observatoire : Qu’avez-vous ressenti au moment précis du tirage au sort, avant le procès ?

Victor M. : Très honnêtement, depuis la réception de la première lettre de la mairie, j’avais espéré que le « loto » s’arrêterait là. Je pensais que la probabilité d’être retenu une seconde fois était très mince. Et puis, pas de chance, la lettre de confirmation est arrivée. Quant au tirage au sort, il s’est effectué dans l’indifférence la plus totale. Le ministère public comme la défense exerce un droit de récusation sans avoir à fournir d’explication. C’est ainsi que j’ai été récusé pour l’une des affaires. La seconde a été annulée. J’ai donc été retenu pour l’affaire du meurtre d’un jeune enfant par sa mère.

 

Avez-vous pu suivre une formation, effectuer une reconnaissance des lieux avant de siéger 

— Deux mois avant la session, j’avais reçu un courrier indiquant les modalités générales. Chaque détail était précisé. Tout semblait clair et précis.

Puis le premier matin, la greffière en chef réunit toutes les personnes convoquées et explique par le détail les procédures et les modalités d’organisation. Une vidéo présente la fonction de juré.

En fin de matinée, le Président se présente, précise ce qui doit l’être et nous informe que trois jurés supplémentaires seront tirés au sort pour pallier d’éventuelles défaillances des six jurés siégeant.

 

— Quelle fut votre première impression en pénétrant dans la salle d’audience ?

Je me souviens d’une salle froide sans âme. Ce qui m’a frappé, c’est l’aspect messianique de la scène, presque christique. Je n’ai pas dit « cène » mais j’avoue y avoir pensé tant la position des uns et des autres me semblait proche du tableau. Mais très vite, le Président m’a tiré de ma réflexion. Et d’emblée, le décor était posé : « Un psychologue sera à votre disposition lorsqu’il s’agira d’affronter des photos ou des vidéos. Certains d’entre vous auront du mal à supporter ce que d’habitude vous ne voyez ou ne lisez que dans les médias, avec la distance nécessaire à l’oubli immédiat. » Voilà, le ton était donné, presque jovial et volontairement rassurant.

 

Avez-vous eu le sentiment de recueillir suffisamment d’informations vous permettant d’établir ou non la culpabilité de l’accusé ?

Je me souviens m’être posé la question de l’état d’esprit que pouvait être celui d’une personne appelée à comparaître pour meurtre. Dans cette situation précise, la culpabilité était établie de fait puisque la jeune femme s’était accusée du meurtre et avait-elle même appelé la police et les secours. Plus compliqué et complexe était de comprendre ses motivations, son cheminement, le pourquoi de cet acte épouvantable.

 

Comment se déroule le délibéré ? Avez-vous pu pleinement exprimer votre avis, votre position et finalement votre intime conviction ?

L’intérêt du système est la diversité. Chacun fait ce qu’il peut. Pour autant j’ai souvent pensé que des professionnels seraient mieux à même d’appréhender la complexité de telles situations.

Cependant les discussions restent ouvertes. Nous travaillons avec une grille qui ne laisse pas de place aux digressions ou aux atermoiements : y a-t-il ou non des circonstances aggravantes ou atténuantes ? À dire vrai, pour faire un peu d’humour, je me sentais assez proche d’une correction du bac.

Mon sentiment aurait certainement été différent s’il m’avait fallu trancher entre coupable ou non coupable.

 

Comment avez-vous vécu la responsabilité de juger une personne ? Avez-vous été accompagné dans votre prise de décision ?

La procédure étant très encadrée nous ne nous posons de fait pas trop de questions. Le Président est là pour expliquer, recadrer. Par ailleurs, comme je le disais, cette situation ne laissait planer aucun doute puisque le crime était prouvé. Finalement, ce n’est pas cette séquence qui m’a le plus perturbé. Plutôt celle de l’accusée, entourée de deux gendarmes criant, pleurant et divaguant durant l’audience.

 

L’interdiction vous est faite de divulguer des informations sur les affaires sous peine d’amende grave. Garder tout pour vous durant cette période a-t-il été difficile ?

Dans le cadre professionnel, j’ai été confronté à des situations difficiles, j’ai reçu des confessions pour lesquelles la déontologie et le respect imposent la discrétion et le silence. Cela m’a certainement facilité les choses.

 

Qu’avez-vous retiré de cette expérience ?

Pour parodier la chanson je dirais « il faut oublier, tout peut s’oublier »

Mais je le pense sincèrement, il faut oublier ce temps où l’on semble à contretemps de sa propre vie. 

1 Le prénom a été changé

2Juré d’assises/Service public.fr :

 

www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F1540