Thérapeutique, de surcroit

L'attention portée aux capacités de l'autre participe à son soin. 

Pour son édition 2013, Persona !1 a rassemblé pas moins de soixante personnes sur le plateau du théâtre Jean Vilar à Eysines autour de son spectacle Les mangeurs de mots de Valère Novarina. Le verbe généreux, iconoclaste, provocateur de l'auteur s'y déroule en une succession de tableaux, chorégraphies complexes, chants choraux, musique. À la fin de la représentation, les spectateurs se demandent qui sont les patients et les professionnels. Pari gagné, sur la scène, que des acteurs, des chanteurs, des musiciens, des danseurs !

Pas de danse

Ce n'est que tardivement que la danse est introduite dans le projet Persona !

À l'origine, la danse signe une appartenance à une communauté : on danse pour se rencontrer, se connaître, on danse aussi pour son propre plaisir.

Le groupe stimule le danseur en le portant, l'enveloppant. Il le soutient, le rassure, l'invitant à s'individualiser en son sein. La relation à l'autre, au spectateur est sans filtre. Le corps est en prise directe avec le regard, le ressenti, l'émotion. Là où corps et espace signent une déstabilisation, se rencontrent harmonie spatiale et mentale.

Occuper son corps pour ne plus en être préoccupé.

En danse, le plaisir de maitriser la technique prime. À Persona !, il y a des chorégraphies à apprendre, retenir qui s'inscrivent dans la trame du spectacle. En danse-thérapie, c'est l'expression de soi, l'émotion, l'intensité qui sont recherchées, il n'y a pas d'apprentissage.

 

Pieds nus

Étymologiquement, le terme thérapeutique véhicule les notions d'attention, d'attitude serviable, de soin.

Sandrine Choisy² témoigne : « Lors d'une répétition, alors que la consigne est de travailler pieds nus, Emma, une jeune patiente refuse obstinément de retirer ses chaussettes. Malgré l'insistance de la chorégraphe à faire respecter la consigne, Emma s'enferme dans son silence. La consigne change, tout le monde travaillera en chaussettes. Le jour de la représentation, Emma enlève ses chaussettes. » « Parce qu’Emma a un objet d'investissement, elle peut vaincre « les embêtements » qui l'encombrent et faire de ces petites victoires une force. »

L'espace scénique participe à la dynamique d'inclusion d'un sujet « hors monde » pour l'amener par la modification de son environnement, à réintégrer le groupe social. Cette séquence est là pour nous rappeler qu'un effet thérapeutique est souvent inattendu, incongru et subversif. Tout l'art est de faciliter les possibilités de son apparition.

À Dimitri à qui l'on demande si ce projet a modifié des choses en lui : « La confiance en soi, retrouver le goût du travail artistique car c'est du travail ! ».

 

Pas à pas

Le projet Persona ! existe depuis 1997 et s'inscrit dans le cadre de la politique Culture et Santé. Le but est de proposer à des patients une activité culturelle d'expression, animée par des professionnels du spectacle en dehors des murs des institutions médicales.

Le projet Persona ! contribue à réunir patients et professionnels du soin autour du spectacle vivant.

Il repose sur le pari de favoriser l'inscription dans la cité et permettre à des personnes hospitalisées de vivre une expérience culturelle mobilisant leurs capacités créatrices et artistiques. Le projet se situe en rupture des ateliers thérapeutiques dont les modes de fonctionnement et la finalité répondent à des règles d'organisation et un encadrement spécifique comme l'art-thérapie qui est un accompagnement thérapeutique à partir des productions artistiques des personnes. Le projet vise aussi le décloisonnement des structures de soin à travers une action partagée dans un souci de déchronicisation.

Selon l'OMS (Organisation mondiale de la santé), la santé est un état complet de bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. Le projet Persona ! y contribue en faisant tomber... le masque. 

Jean-Louis Deysson

 

¹Persona : mot latin désignant un masque de théâtre.

²Sandrine Choisy : Persona ! Du jeu de scène au « je(u) » citoyen, mémoire de fin d'études, CNAM 2013.