L'impossible interview
Me voilà prête, dictaphone en poche, questionnaire peaufiné et appareil photo en bandoulière pour interviewer Monsieur le vêtement.
Lui, il est là, négligemment étalé sur le canapé et tout à coup, sans crier gare, il se met à parler fort et à s'agiter, me laissant bouche bée.
« Bonjour, je suis un vêtement et je plais. On me porte sans cesse. Je suis fashion – comme ils disent – et puis, au mieux, on me délaisse et au pire on me jette !
On oublie qu'essentiellement je suis là pour couvrir ! “Ah cachez ce sein que je ne saurais voir !” Vous vous souvenez ?
On oublie aussi que je suis là pour vous protéger du chaud et du froid, que je n'ai pas pour vocation au départ de vous mettre en valeur !
D'ailleurs, vous-mêmes savez-vous bien ce que cela veut dire ? Car aujourd'hui ma fonction se résume encore plus que jamais à signifier.
Eh oui ! Signifier que vous êtes bobo, BCBG, marginal ou original ou que vous êtes formatés, sous l'emprise des marques.
Bobo, BCBG, original, nostalgique, le vêtement court après la mode (D. R.)
Moi, je pensais qu'en tant que vêtement de marque,
“Marque, pas Marc !” dit-il en me jetant des yeux furibonds et il rajouta “Petite niaise, je vois bien à ton regard étonné et stupide que tu ne me suis pas !”)
Bon je disais donc : “moi, je croyais qu'en tant que vêtement de marque, j'allais payer pour qu'on me porte, qu'on allait ainsi me faire de la publicité, quoi !
Eh bien, non, figurez-vous que c'est vous qui payez et fort cher en plus pour m'acheter !
Non, mais c'est le monde à l’envers non ? »
Le temps que je lui réponde, le voilà qui s’agite, court d'époque en époque, virevolte, m'étourdis et disparais en un clin d'œil, laissant derrière lui un léger bruit de froufrous...
Brigitte Ambrosini-Campo