Une imprimante, un médecin et des patients

Au sein de l’établissement de la Tour de Gassies, un médecin, féru d'informatique, a eu l'idée d'utiliser l'outil informatique pour aider ses patients à se réinsérer dans la société.

 

                            

 

La rencontre avec un fabricant d'imprimante et la mobilisation des personnels soignants a été déterminante dans le lancement du projet de la Tour de Gassies. C'est au détour d'une exposition organisée dans cet hôpital que L'Observatoire a pris contact avec les différentes parties prenantes de ce projet.

 

Un lieu : la Tour de Gassies et le CRPS

 

Le Centre de médecine physique et de réadaptation (CRPS) La Tour de Gassies accueille des personnes souffrant d'un handicap physique dont les origines sont diverses (maladie, traumatologie, amputation etc.) pour une prise en charge globale ou partielle (diagnostic, évaluation, rééducation, réadaptation et réinsertion).

 

Au sein de l'établissement se trouve également le Centre de réhabilitation psycho-sociale. Il accueille de jeunes adultes présentant un handicap psychique induit par des pathologies mentales graves et chroniques (schizophrénie, troubles bipolaires…) en vue de réduire les effets délétères de ce handicap et de favoriser leur réinsertion sociale et/ou professionnelle.

 

 

 

Un élément fédérateur : l'imprimante

 

L'entreprise DAGOMA, qui la fabrique, se trouve à Roubaix. Elle a été fondée par deux jeunes ingénieurs qui se sont rencontrés en Chine. Leur idée première était de fabriquer des vélos pliants. Pour en réaliser un prototype, ils ont eu besoin d'une imprimante 3D qu'ils ont construite. C'est à ce moment-là qu'ils se sont rendu compte que construire une imprimante pour la mettre à la portée du consommateur lambda était plus porteur que de faire des vélos pliants.

 

En 2014, ils rentrent en France pour lancer leur entreprise. La création de l'antenne bordelaise date de septembre 2016.

 

Pour reprendre les propos de Sébastien Lecocq, représentant de la société en Aquitaine, les concepteurs souhaitent offrir un matériel aussi simple d'utilisation qu'une imprimante 2D tout en privilégiant sa fiabilité et la qualité d'impression. La philosophie de l'entreprise est de diminuer l'empreinte carbone d'objets usuels et de fabriquer soi-même des pièces détachées introuvables en magasin ou impossibles à trouver à l'unité.

 

Il existe de nombreuses applications telles que le modélisme aérien ou ferroviaire, les pièces détachées, le bricolage, les bijoux fantaisies etc. Nous le verrons plus loin  que d'autres utilisateurs ont développé des usages auxquels n'avaient pas pensé nos concepteurs.

 

L'entreprise propose deux types d'imprimantes : la première, livrée en kit avec un prix d'appel bas de 299 €, fonctionne avec une carte mémoire où est enregistré le fichier nécessaire à la réalisation de la pièce. La seconde, de type delta, est livrée montée et permet une utilisation plus simple.

 

La matière première est constituée de filaments de différentes sortes en fonction des pièces à réaliser. Ils sont à base d'amidon de maïs et fabriqués en Europe. Les filaments coûtent entre 30 et 50 € le kg, sachant qu'une pièce moyenne pèse 60 g maximum, soit un prix de revient d'environ 1 €.

 

La principale limitation est la température maximum d'utilisation du plastique qui ne doit pas dépasser 80°C. La société assure le suivi des imprimantes et apporte toute l'aide nécessaire aux utilisateurs.

 

 

 

Des protagonistes :

 

       le CRPS et l'atelier 3D.

 

L’atelier a vu le jour grâce au docteur Couhet (chef du CRPS). La société DAGOMA  a répondu favorablement à sa demande de mécénat. Ce partenariat aboutit à la mise à disposition d'une imprimante 3D, de formations, d'aide pour monter la machine et d'un support technique pour le suivi et la maintenance. L'aventure commence en avril 2017.

 

Six patients participent à l'atelier sur les 82 qui fréquentent le centre. Celui-ci fonctionne le mercredi après-midi avec l'aide d'un moniteur d'atelier, un ergothérapeute ; notre interlocutrice, Sylvie Laporte, co-anime l’atelier.

 

Elle nous confie que, dans leur parcours de vie, ces jeunes adultes ont connu une problématique d'ordre psychique. Ils ont besoin de soins de réhabilitation avec une prise en charge médicale et pluridisciplinaire. L'atelier est un lieu où est abordé la dimension du travail, une des composantes dans l'accompagnement vers le retour à la vie sociale et professionnelle

 

Il faut déstigmatiser la maladie psychique, il s'agit de personnes qui ont eu des moments très difficiles dans leur existence. Leur vie sociale et professionnelle a été mise entre parenthèses. Ils doivent apprendre à retisser le lien social, à redécouvrir les compétences qu'ils ont oubliées. C'est à l’atelier qu’ils pourront le faire en réapprenant à s'organiser dans le temps, à définir en commun un programme de travail et à se répartir les différentes tâches à réaliser pour produire un objet fini. L'idée qui prédomine est de mettre les patients au plus près du fonctionnement d'une entreprise en y associant R&D et production. Lors de notre passage devant la station de modélisation, nous avons pu assister à un échange riche entre des participants qui, il y a peu de temps encore, éprouvaient les plus grandes difficultés à communiquer. Chacun voulait  apporter sa pierre à l'édification du projet.

 

Ils ont modélisé et fabriqué 11 masques pour le carnaval de Bordeaux. Ces masques sont un assemblage de 25 pièces différentes. Toujours suivant notre guide, l'idéal serait que les patients qui suivent l'atelier puissent suivre une formation chez DAGOMA et  deviennent à leur tour formateur sur imprimante 3D. L'éventualité d'ouvertures de partenariat avec des entreprises est une idée à ne pas écarter mais n'oubliant pas que l'atelier est en milieu hospitalier et ne peut  rentrer dans un secteur concurrentiel.

 

De plus, Le CRPS part du principe que l'atelier vise à leur donner la possibilité de réintégrer la société et/ou  le milieu du travail avec ses contraintes même s'il est toujours possible qu'il y ait des échecs. Un contexte encadré serait à même d'accepter cette fragilité et de gérer ce stress.

 

Pour l'instant aucun des participants à l'atelier n'a été en mesure de sortir du milieu hospitalier.

 

Depuis, la société DAGOMA a mis d'autres machines à disposition. L'obtention d'une station de travail performante est nécessaire pour se doter d'un logiciel  permettant une modélisation beaucoup plus évoluée. Il permettrait de « professionnaliser » d'avantage les compétences des personnes. L'atelier souhaiterait par ailleurs développer des partenariats avec des associations comme celles des non-voyants afin de proposer des aides techniques en braille.

 

 

 

       Le CMPR et le personnel soignant

 

Ergothérapeute, infirmiers, cadres de santé...ont été sollicités, en février 2017, par le CRPS à la recherche d'objets à réaliser par ses patients  afin de favoriser leur investissement  et de valoriser leur travail.

 

Dans un premier temps, c'est plutôt l'expectative, comme le souligne notre interlocutrice Laurence Vermande, mais très vite les ergothérapeutes demandent la réalisation d'objets pour la rééducation de la dextérité, de la préhension. Il faut réapprendre à saisir des objets plus ou moins fins et de formes différentes. Il est pratiquement impossible de trouver ce type de produit dans le commerce. D'autres demandes suivront : le crochet pour auto-sondage, le porte-stylet pour tablette, le porte-tablette, la réalisation de fourreaux pour une meilleur préhension des couverts etc. Rien n’empêche de rêver à la fabrication de coques pour les prothèses…

 

Dans cette démarche tout le monde est gagnant. Le patient qui a des problèmes sait qu'en exprimant son besoin, une réponse et une solution technique seront trouvées par d'autres patients. Les malades sont valorisés en concevant, fabriquant et livrant des produits améliorant le bien-être d'autres malades.

 

Le personnel soignant, frustré de ne pas apporter des solutions aux problèmes des patients, s’aperçoit qu'il est possible de répondre aux besoins des malades. La communauté commence à s'investir pleinement dans le projet, même les patients se prennent au jeu en devenant acteurs du processus de réalisation d'objets nécessaires à l'amélioration de leur quotidien.

 

Texte et photos de Bernard Diot