Un sacerdoce laïque

Les bénévoles de la Croix-Rouge française s’engagent pour être utiles aux autres dans leur vie quotidienne. Ainsi les cours d’alphabétisation permettent aux migrants de s’insérer dans la société.

Elisabeth Bedos, entourée de Rebeca et de Diane
Elisabeth Bedos, entourée de Rebeca et de Diane

Élisabeth Bedos, bénévole depuis plus de sept ans à la Croix-Rouge, s’est donné pour mission de transmettre les bases de la langue française aux étrangers qui arrivent à Bordeaux et attendent parfois des mois leur visa de séjour. Après une demande à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), ils sont adressés au Comité de liaison des acteurs de la promotion (CLAP) qui établit une fiche d’évaluation et les dirige vers des organismes formateurs, dont la Croix-Rouge.

 

Des relations de confiance

En temps ordinaire, (hors Covid), les formations ont lieu au siège de la Croix-Rouge de Bordeaux, 50 rue Ferrère. Avec son équipe de bénévoles, Élisabeth anime donc des cours d’apprentissage des savoirs de base pour un public ne maîtrisant pas la langue française. Pour communiquer, le langage des mains et les mini dictionnaires linguistiques sont bien pratiques.

« Avant de commencer la formation, il faut obtenir l’adhésion et instaurer des relations de confiance entre élève et formateur. » dit Élisabeth, « d’autant que beaucoup sont en décalage complet avec la société et les mentalités françaises. Souvent, ils sont seuls, isolés de leur famille et fragilisés. » Elle ajoute « ici, les cours sont mixtes et laïques. S’agissant d’adultes, ceux-ci doivent se prendre en charge et travailler assidûment pour progresser. »

Les cours sont de deux heures, les lundi, mardi, jeudi. Ils se partagent entre un apprentissage théorique (le B A, BA de la lecture, par exemple) et des discussions ouvertes sur l’actualité du moment.

Élisabeth porte « une attention toute particulière à la façon d’aborder des sujets sensibles tels que les assassinats islamistes ou les guerres locales ; un rappel de la loi française, ajoute-t-elle, s’avère alors nécessaire pour faire comprendre les différences culturelles et cultuelles, tout en respectant les modes de vie de chacun. » Tout se passe généralement très bien.

 

Un travail d'équipe

Dans son rôle de responsable, Élisabeth effectue une première évaluation des étudiants, à partir de leurs fiches d’inscription, pour les regrouper par niveaux : « Certains sont analphabètes dans leur propre langue, n’ont jamais été à l’école, tandis que d’autres ont fait des études supérieures. Il faut une écoute attentive, intuitive, pour sentir l’état de santé physique, émotionnel et psychologique des participants qui viennent souvent de pays en guerre, avec un vécu atroce et difficile à partager » explique-t-elle. Pour la plupart, ils sont âgés de 25 à 35 ans.

Chaque bénévole a sa spécialité : Marjorie s’occupe des débutants, Christine et Alain, des élèves de niveau intermédiaire et Élisabeth, de ceux qui sont déjà allés au collège, au lycée ou à l’université.

En année pleine, les sessions d’alphabétisation bénéficient à plus de cent personnes. Qu’ils soient réfugiés politiques ou migrants économiques, ils arrivent au gré des événements qui ont secoué leur pays ; ce furent successivement des Afghans, des Syriens, des Iraniens ou des Soudanais ; plus récemment des Vénézuéliens, des Péruviens, des Brésiliens ou des Mexicains. Les autres, de toutes origines géographiques, sont arrivés avec un emploi à la clé ou rejoignent un conjoint en France.

 

Fierté des étudiants-parents

Opuscules de formation du CP au CM2, voire de 6e et 5e, acquis en conformité avec l’Éducation nationale ; classeurs, cahiers de soutien individualisés, toutes les étagères débordent ; des cartons à dessin contiennent des cartes géographiques et divers supports éducatifs. Beaucoup ont été confectionnés par les bénévoles pour illustrer les usages principaux de la vie courante : effectuer des démarches administratives, se diriger en ville, appeler un docteur, commander et payer chez les commerçants. Un mode d’emploi pour vivre dans notre société. Mais pas seulement : des exposés éclairent de grands événements nationaux, comme la Révolution française ou le Débarquement en Normandie, à l’occasion de commémorations ou d’anniversaires.

C’est un immense travail de préparation que de se mettre à la portée de chaque apprenant, tout en respectant le cadre de formation mis en place en France et en Europe.

Pour Élisabeth « des leviers importants de motivation sont les enfants scolarisés qui progressent très vite en français ; la fierté des étudiants-parents, notamment les pères de famille, les incite à travailler leurs cours.» L’objectif est de permettre aux élèves de trouver un travail ; même quand ils quittent Bordeaux, beaucoup gardent le contact avec les bénévoles.

 

Jouer Molière

Après le premier confinement, les cours se sont poursuivis par groupe de cinq élèves plus l’enseignant, la jauge retenue par les pouvoirs publics, dans le respect des gestes barrières et des mesures sanitaires mises en place à la Croix-Rouge.

Pendant les vacances d’été, celles et ceux qui le souhaitaient pouvaient se réunir masqués au Jardin public pour des cours tournés vers l’oral. Ainsi, à sa grande surprise, raconte Élisabeth, « ils ont interprété les actes I et II du Bourgeois gentilhomme de Molière, selon les rôles attribués et cela a été une énorme partie de rire et de détente. »

Depuis fin octobre 2020, pour pallier l’interdiction du regroupement des élèves, les bénévoles donnent des cours individuels, soit via le logiciel Zoom pour ceux, très rares, qui sont équipés, soit en face à face.

Ainsi, Élisabeth organise des cours en binôme avec Rebeca (Mexicaine et cuisinière dans un restaurant près des Grands Hommes) et Diana (Colombienne, étudiante et jeune fille au pair) qui, il y a peu, ne parlaient qu’espagnol, elle leur apprend les bases du français pour qu’elles comprennent et s’expriment correctement dans leur environnement de travail.

D’autant que Rebeca est inscrite à une certification en hygiène alimentaire nécessaire dans la restauration, tandis que Diana prépare un diplôme d’études en langue française, niveau B2 (cadre européen), et recherche à moyen terme un travail dans le domaine de la petite enfance.

Toutes les deux ne tarissent pas d’éloges sur Élisabeth « qui, disent-elles, veille sur nous avec humanité, en prenant en compte l’ensemble de notre situation pour accélérer notre intégration. » La récompense de l’équipe des bénévoles est l’insertion des étudiants par l’emploi.

Toutes et tous les bénévoles sont impatients de « pouvoir reprendre les cours, retrouver le lien social avec leurs élèves et les emmener dans les musées, organiser des sorties éducatives dans Bordeaux ou fêter des événements personnels. »

 

Rappel historique

Depuis l’origine, en 1864, le symbole de la Croix-Rouge est le drapeau de la Suisse aux couleurs inversées, reconnu par les conventions de Genève. L’unicité et l’universalité de l’emblème protecteur vont de pair avec sa neutralité et son indépendance. 

Actions de la Croix-Rouge à Bordeaux en janvier 2021 

- 135 dossiers d’aide pour l’activité Maman/Bébé

          Mardi et vendredi après-midi 

- 230 dossiers d’aide alimentaire (70 familles) sur rendez-vous

          Livraisons le Jeudi après-midi 

- 3 maraudes par semaine

          Entre 30 et 35 personnes rencontrées par maraude 

- Vesti-boutique fonctionnant uniquement par Internet

Eric Dabé

 

Alain et ses élèves du cours intermédiaire
Alain et ses élèves du cours intermédiaire