Secourir les accidentés de la vie

Encadrer des mineurs justiciables, un parcours du combattant.

 

 

Stéphane Parigot
Stéphane Parigot

 

Depuis plusieurs semaines, nous sommes informés de la fin tragique de jeunes adolescents, victimes de rixes entre bandes rivales de quartier ou pour des motifs dérisoires. Ces évènements nous perturbent profondément. Nous voulons comprendre ces comportements. Ces enfants ont besoin d’aide pour trouver leur place dans notre société.

 

C’est la raison pour laquelle nous avons rencontré Stéphane Parigot, Responsable de l’Unité éducative de Mérignac. La cinquantaine, grand, souriant, il s’est mis volontiers à notre disposition pour répondre à toutes nos questions. 

L’Observatoire : Voulez-vous nous raconter ce qui vous a conduit à vous occuper d’enfants en difficulté ? 

Stéphane Parigot : C’est grâce à mon épouse qui travaillait à la PJJ1 comme éducatrice quand nous nous sommes rencontrés. 

 J’ai eu une enfance simple et heureuse. J’ai couru devant les études, elles ne m’ont pas rattrapé ! J’ai obtenu un CAP de mécanique auto. J’étais passionné d’automobile. Bien plus tard, j’ai validé un diplôme universitaire « Trouble du langage et des apprentissages » ainsi que ma formation de professeur technique de la PJJ niveau BAC + 3.  J’ai postulé et obtenu un emploi de professeur de mécanique et pilotage dans un Centre d’action éducative et d’insertion. À 32 ans, j’ai démissionné d’un CDI pour un CDD dans l’accompagnement socio-éducatif de mineurs en difficulté et sous main de justice. Un grand pas dans l’inconnu. En 2014, je suis entré en formation de professeur technique de la PJJ et j’ai été titularisé 3 ans plus tard.  Les enfants dont je m’occupais avaient entre 16 et 18 ans, tranche d’âge théorique de la PJJ. Avant 16 ans, ils sont supposés être scolarisés, au-delà de 18 ans, ils ne sont plus considérés comme mineurs. Dans la pratique, cela va parfois jusqu’à 19 ans. 

Palais de justice de Bordeaux, place de la République
Palais de justice de Bordeaux, place de la République

Avez-vous eu des moments de découragement ?

— C’est un travail difficile, extrêmement lourd en émotions diverses et particulièrement ingrat. Ces adolescents sont déscolarisés, parfois depuis longtemps, oisifs, inscrits pour certains dans une délinquance rapportant beaucoup d’argent, avec des modèles parentaux dysfonctionnant. Comment les convaincre de se lever à l’heure à laquelle ils se couchaient, de tenir un emploi du temps, aussi léger soit-il, de fournir des efforts gratuits ?À cet âge-là, on est dans l’immédiateté, on ne voit pas l’avenir. Ils n’ont pas appris l’effort, le code, les lois. Le contact est souvent compliqué. Il faut du temps pour qu’ils fassent confiance à l’adulte. Nous savons que les attaques verbales, les fugues, les insultes, les dérapages en tous genres sont des manières de répondre à un sentiment d’agression. Quand les jeunes n’ont pas les mots pour exprimer ce qu’ils ressentent, quand ce qui se fait, se dit, touche à leur vécu, ce sont des barrières, des défenses naturelles.Il ne s’agit pas d’excuser, cela appelle des sanctions tout en gardant à l’esprit que l’on ne peut modifier du jour au lendemain, un fonctionnement, une manière de concevoir les choses, induits par un parcours de vie. Le temps éducatif est long, très long, et la Justice des mineurs tient compte de cela.

L’engagement devient total tant le lien avec les mineurs est présent, que cela se passe bien ou pas. On ne rentre pas chez soi en supprimant de son cerveau ce qui a été vécu dans la journée, ce que nous avons appris de la vie de ces enfants.

 

Quels moyens employez-vous pour les installer dans une vie responsable ?

— On travaille en permanence seul ou à plusieurs à imaginer ce que l’on pourrait faire, pour trouver la faille, la manière de rentrer en contact, de faire accepter la nécessité de se reprendre en main, de vivre pour soi, de s’extraire du groupe de soi-disant amis qui tirent vers le bas.

 

Comment les motivez-vous ?

— La mécanique et le pilotage attirent les jeunes, leur donnent envie de reprendre un rythme de vie plus en adéquation avec ce qu’ils devraient être en faisant quelque chose qui leur plait, et à partir de là, nous pouvons commencer à déployer notre plan « diabolique » pour essayer de les remettre dans le droit chemin.On leur propose des cours de mathématiques, français, anglais, sport, des ateliers d’expression, de théâtre, de citoyenneté et tout ce qui peut permettre à un adolescent de comprendre le monde, la vie, la loi, la société (ce qu’elle attend d’eux et ce qu’ils sont en droit d’attendre d’elle) et d’y trouver leur place.

 

Bien sûr, tout ceci ne se fait pas en même temps mais vient progressivement, à mesure de leur évolution.

 

Quelle est la durée de la prise en charge ?

— Elles se font sur 6 mois et jusqu’à 2 ou 3 ans. C’est un travail frustrant car nous ne savons pas ce que devient le jeune une fois qu’il a quitté la Justice des mineurs. Nous nous rattrapons en regardant en arrière, ce qu’il était en arrivant, et ce qu’il est devenu à son départ.

Mais nous ne sommes qu’un moment dans sa vie, et nous ne pouvons que supposer la suite. Nous avons quelques exemples positifs. Il y en a un qui est venu nous voir, accompagné de sa compagne et son bébé, tout fier au volant de sa voiture. C’est un très grand réconfort quand nous avons participé à cette résurrection. C’était un étranger, venu des pays de l’Est, pris dans un réseau de trafic d’êtres humains. Sous emprise de la drogue, il était entraîné à voler contre de la nourriture et des produits toxiques. Arrêté à plusieurs reprises pour vol, agression, détention et consommation de produits stupéfiants. Un juge des enfants a ordonné un contrôle judiciaire, une liberté surveillée préjudicielle, une réparation, une mise sous protection judiciaire. Un éducateur a été désigné dans un Service de milieu ouvert à la PJJ. À force de ténacité, il est parvenu à l’accrocher en lui proposant une activité de mécanique. Il est venu dans mon atelier, a fait également du sport et pris des cours de français. Les premiers temps ont été très compliqués En parallèle, son éducateur lui a trouvé un lieu d’hébergement, ce qui lui a permis d’avoir un endroit où se poser. Loin du réseau, il a pu se sevrer, a travaillé la langue française. Il s’en est sorti.

 

Quelle est votre fonction actuelle ?

— J’occupe un poste qui équivaut à celui de Directeur de l’Unité éducative de Mérignac. L’engagement, s’il est toujours présent, est totalement différent. Je dois m’assurer que les décisions judiciaires sont suivies et respectées et que le parcours de vie des jeunes confiés reprenne un sens normal. Mon engagement aujourd’hui est donc indirect.

 

Quelles constatations faites-vous aujourd’hui sur ces jeunes délinquants ?

— Les enfants délinquants sont avant tout des enfants en danger. La loi dit que la détention doit rester l’exception pour les mineurs et que la PJJ1, quel que soit le stade de la procédure, doit proposer une alternative à la détention.Ces enfants sont des accidentés de la vie. Leur parcours est très souvent jalonné de catastrophes humaines, de conflits, d’abandon. Que serions-nous devenus nous-même si nous avions subi tout cela ? Nous quittons Stéphane, songeurs.

 

1PJJ : Protection judiciaire de la jeunesse 

Arlette Petit