Mon confinement

Pendant la durée du confinement, ce petit chemin est resté désert ( photo A. Petit)
Pendant la durée du confinement, ce petit chemin est resté désert ( photo A. Petit)

 

Tous les médias nous inondent de nouvelles mortifères, catastrophiques sur le COVID 19. À tout instant, alarmistes, pessimistes, ils contaminent le monde entier, engendrant une psychose.

 

" S'inquiéter seul, c'est précipiter l'angoisse, mais s'inquiéter à deux, c'est déjà se consoler. 

J'ai recueilli cette phrase dans Sigmaringen de Pierre Assouline que je lisais et qui correspondait à mon ressenti en phase avec la situation que nous avons subie. 

Tout au début du confinement, seule, (les petits étudiants, que je loge, étant tous partis), j'étais envahie par une frayeur irraisonnée. Totalement indifférente à tout, j'étais transformée en zombie : sourde, aveugle, insensible. 

Dans l'environnement, les rues désertes desservaient des maisons semblant inhabitées, accentuant l'insolite de l'atmosphère. Le silence assourdissant, lourd, semblait nous écraser. Plus de circulation, plus d'avions, plus de voix, plus de vie. Le soleil était sorti de mon esprit. Les nuits devinrent atroces, impossible de trouver le sommeil malgré l'absorption d'un remède prescrit par le médecin. Malgré tous mes efforts, ma bonne volonté, je ne parvenais pas à penser à tous les déshérités, à tous ceux qui vivaient cette période de façon beaucoup plus dramatique que moi. 

L'absence de mon époux me pesait. Sa présence aurait tout changé. Nous nous serions réconfortés mutuellement. La maison était vide de tout. 

La veille du confinement, j'avais subi une petite intervention chirurgicale, la sixième en un an. Les anesthésies répétées m'avaient affaiblie physiquement et moralement. Cette excuse, je la désirais pour me pardonner mon comportement. 

Pour retrouver du courage, je dirigeais mes pensées vers mon aïeul maternel. À la quarantaine, vivant très misérablement, il décida, accompagné d'un ami, de quitter son petit village au joli nom de Casillas de Flores près de la frontière portugaise, dans la province de Salamanque. Son baluchon sur le dos, il prit la route de Bilbao pour travailler dans les mines de fer. Le voyage dura plusieurs mois. Pour parvenir à destination, il s'arrêta très souvent dans des fermes offrant ses services afin de se nourrir et avoir une paillasse pour la nuit. Arrivé dans cette grande ville minière, il chercha un logement pour faire venir son épouse et ses nombreux enfants. L'appartement comptait trois familles se partageant la même cuisine. Ils y restèrent quelques années. En 1914, le gouvernement français, en manque de main-d’œuvre, fit venir des étrangers pour remplacer les hommes partis à la guerre. Arrivé à Bordeaux, il trouva un emploi au port de la ville en tant que docker. Comme à cette époque, il n'y avait pas le matériel que nous connaissons aujourd'hui, il devait porter à même le dos de très lourdes charges. Petit de taille, faisant de l'asthme, et des vertiges de Ménière, ce travail était très pénible pour lui. Il mourut trop jeune, épuisé mais rassuré. En effet, il nous avait montré le chemin à suivre. Libre à nous de le faire. Grâce à lui, ma vie est confortable et agréable au lieu de connaître la misère, celle qu'il avait fuie. Je suis très fière de mon grand-père, de son courage, de sa volonté et de son abnégation. Je souhaite lui rendre hommage en écrivant ces quelques lignes. 

Au bout de trois semaines de confinement, je décidais de changer mon ressenti. Plus de médias défaitistes, uniquement des chaînes sans informations et des radios ludiques pour me distraire de mon angoisse. Je dois préciser que l'élément déclencheur de ce changement fut l'attitude décontractée des membres de l'atelier de journalisme, lors de notre première réunion téléphonique imposée par les conditions sanitaires. Je retrouvais le monde d'avant : gaieté, concentration, critiques amusantes, moqueries amicales, optimisme prudent... Je pouvais désormais penser à tous ceux qui subissaient cette pandémie dans des situations dramatiques : les émigrés, les S.D.F., les travailleurs saisonniers, les chômeurs, les enfants maltraités, les femmes battues. Je plaignais les commerçants au bord de la faillite après la révolte des gilets jaunes et maintenant avec la crise sanitaire. 

Le contact humain me manquait énormément ainsi que toutes mes activités. Je n'aime pas la solitude. Mes petits locataires étant repartis dans leur foyer, plus de repas en commun et d'encombrement dans la cuisine, plus de musique, de rires, de bavardages gais et de compagnie. Les souvenirs du passé surgissaient : les bons moments lors des fêtes de famille au complet, les voyages et aussi le travail car j'avais un métier que j'aimais énormément. Je me replongeais dans la lecture, la couture et bien sûr, la peinture. Je repris les promenades en compagnie de mes petits chiens. 

Ne sortant pas du tout, même pour faire mes provisions, mes neveux s'en chargeant, je me sentais en dehors du monde des vivants. Le matin, je m'occupais de l'entretien de la maison, du repas et je conversais au téléphone. L'après-midi, je faisais un peu de sieste, je regardais des films puis, si le temps le permettait, je m'installais à l'ombre d'un eucalyptus avec un livre. En ouvrant les volets, à mon réveil, je retrouvais la beauté de la nature qui me pénétrait au plus profond de mon être, me remplissant de la sérénité que j'avais perdue si longtemps. J'entendais le sifflement des merles, le joli piaillement des oiseaux. Je revoyais les couleurs : le vert tendre des jeunes pousses, le bleu des iris, le mauve des rhododendrons, le blanc des orangers du Mexique. Je sentais le parfum des acacias en fleurs, celui de l'herbe récemment tondue. Je sentais le printemps, ma saison préférée. J'avais retrouvé la vue, l'ouïe, l'odorat, la vie. 

Enfin, le déconfinement s'est annoncé, accompagné de toutes les mesures de protection nécessaires afin d'éviter un second confinement. Tant qu'un traitement efficace ou qu'un vaccin ne sera pas annoncé, il nous faudra respecter les consignes. 

Je recommence à m'intéresser à l'actualité économique. Les prévisions sont plutôt pessimistes. La reprise s'annonce problématique sans aucune visibilité. L'activité redémarre difficilement à cause des gestes barrières. L'économie a subi un coup d'arrêt sans précédent. Il va falloir relancer le moteur. La relocalisation de certains secteurs d'activités est envisagée. La Bourse, volatile, dégringole avec une baisse de plus de 27 % depuis le début de l'année. Le chômage va être très important, suivi d'un accroissement de la pauvreté. Ne perdons pas espoir, car l'être humain a subi au fil du temps bien des vicissitudes pour finalement triompher et s'en remettre. 

Rêvons et pensons positivement, c'est notre force pour retrouver notre vie d'avant.  

 

Arlette Petit