Confidences félines

De mémoire de chat, jamais un virus n'avait contraint à se confiner aussi longtemps.

 

Patou le chat lové sur le canapé (photo J.L. Deysson)

Nous venons de traverser depuis deux mois une période assez troublante : le confinement dû au coronavirus. Bien des choses ont changé qui nous obligent à rester enfermés chez nous. Je vis avec un couple d'humains ou plutôt je les héberge dans une maison située dans un quartier résidentiel de Bordeaux Caudéran. Je suis ce que les humains appellent un chat, affublé d'un nom ridicule, Patou, que m'avait donné une voisine, depuis lors disparue. Je suis noir, yeux verts, avec un léger handicap à la hanche, séquelle d'un ancien accident. 

 

Rituels

Depuis le 17 mars 2020, presque deux mois se sont écoulés, et mes maîtres sont constamment là, tout le temps. Pas un moment de répit, quand l'un sort, l'autre reste. Une heure par jour, ils partent faire une balade. Ils s'autorisent à sortir, ils l'attestent, culture de l'équivoque ! Avec leurs masques sur leurs visages, ils me font peur, je ne les reconnais pas. Leurs habitudes ont changé. Ils achètent leur pain tous les deux jours. Le soir entre 19 h et 20 h, ils s'installent dans le canapé pour écouter religieusement la conférence de presse du professeur Salomon, directeur général de la santé. Instant quasi biblique ! Les chiffres tombent : contaminés, nombre de lits, décès, guéris, en réanimation... Juste après pourvu qu'ils pensent à mes croquettes. Le temps est comme suspendu. Mon goût pour l'ordre et la régularité est comblé. Les rituels sont renforcés.

À la radio comme à la télévision, tous les jours la même rengaine : pandémie, confinement, masque, test, virus, barrières, amendes...

Je profite de cette torpeur pour me lover sur leurs genoux et engranger quelques-unes de mes seize heures de sommeil quotidien. On ne voit plus grand monde de l'extérieur, peu ou pas de visites. Les enfants ? Aux abonnés absents ! Quelquefois, ils apparaissent sur les écrans des téléphones, des tablettes ou de l'ordinateur... J'ai horreur de cela, mes maîtres me poursuivent avec la caméra web cam pour leur donner de mes nouvelles ! Je les trouve plus attentionnés, plus à l'écoute, un peu envahissants, protecteurs voire infantilisants surtout le soir lorsqu'ils me demandent de rentrer.

Tous les vendredis à 10 h, mon maître s'enferme dans son bureau. Combien sont-ils dans cette pièce ? Je les entends échanger, rire, tous ces prénoms qui se mélangent. Ça parle d'articles de journal, d'édition, de contenu, de L'Observatoire... Puis vers midi, il ressort, seul, satisfait, à vendredi prochain.

 

Curiosité

Heureusement, il y a le jardin que je partage avec Tim, un chat noir et blanc qui a trouvé refuge sous la véranda de mes humains. Les pelouses, tondues plus que de raison, fournissent insectes et vermisseaux à foison. Je me promène nonchalamment, en pistant les merles et les mésanges qui, profitant de la trêve, prennent leur aise. Avec Tim, nous jouons à chat, nous allons explorer les jardins avoisinants, un peu trop envahis par les enfants, et le soir, assis devant le portail, nous admirons le petit bois. Celui-ci a pris les couleurs du printemps, les herbes folles foisonnent. Les résidences derrière le bois s'effacent peu à peu, 

masquées par la végétation luxuriante des arbres. C'est le moment des promenades des chiens et de leurs maîtres, seuls ou en couples. 

La tentation est forte de franchir le portail et d'aller explorer le bois de l'autre côté de la rue. Le trafic de voitures est quasi nul, le danger inexistant. La raison est plus forte, nous faisons demi-tour.

Pas besoin de nous confiner, même porteurs du virus, nous ne pouvons pas le transmettre.

C'est nous qui sommes en danger dans cette grande proximité des humains. Nous occupons tous les espaces, nous ne renonçons pas aux câlins et caresses. Nous pouvons transgresser les distanciations sociales, éviter les gestes barrières, nous priver du gel hydro alcoolique et du lavage de nos pattes, ne pas porter de masques. Nous avançons libres à la différence de nos amis les chiens, sans laisse, ni collier.

 

Jean-Louis Deysson