Un beau jardin

Un vaste espace riche en couleurs, propice à des promenades découvertes fréquentes pour s’évader du confinement.

Pierre médite sur son rondin
Pierre médite sur son rondin

Dans ces moments terribles du printemps 2020, quelle chance pour mon voisin Pierre, 78 ans, de disposer à Cestas, d’un immense jardin de 10 000 m2 auquel j’ai pu accéder. Fils de paysan et ingénieur agronome, il a apporté une attention particulière à l’aménagement et aux plantions de ce parc. Bien des espèces présentes lui rappellent celles de l’environnement de son enfance. Aujourd’hui plus disponible, privé de ses activités extérieures habituelles, il a un autre regard, plus attentif, sur son jardin.

C’est une opportunité pour lui de bénéficier de plus de temps pour le parcourir fréquemment, en portant attention au changement permanent des plantes et des arbres. Cela lui permet de suivre au quotidien l’explosion de la nature, riche de bouleversements à ce moment de l’année. « J’apprécie de pouvoir contempler l’éclosion des bourgeons des différentes espèces, l’émergence successive des fleurs et des fruits, le fourmillement des insectes et l’omniprésence des oiseaux et de leurs chants. »

 

 

Balade dans le parc loin du monde

 

Parfums inoubliables

Pierre s’avance souvent dans la longue allée, bordée de mimosas, qu’il affectionne, avant d’aborder l’espace boisé où il se sent aujourd’hui particulièrement loin du monde. Des pins immenses alternent avec de beaux chênes d’Amérique et, çà et là, des bouleaux au blanc éclatant. Pour la première fois, il distingue cette année, en lisière, les taches jaunes des genêts en fleurs. « Je suis chanceux aujourd’hui, j’aperçois sur une branche de pin, tout proches, deux écureuils qui m’observent sans crainte. Tout à coup, ils s’élancent et se courent après, à toute allure, le long du tronc, pendant de longues minutes avec des arrêts soudains, positionnés sans se voir de chaque côté de l’arbre ! Dans une de mes dernières promenades matinales, j’ai même aperçu une biche qui me rend visite de temps à autre. Elle décampe vivement dès que je m’approche et enjambe la clôture d’un saut majestueux. »

Pierre rejoint ensuite la partie ouverte du jardin. Il est conquis par la pelouse envahie, à cette saison, de fleurs sauvages où se mêlent tour à tour, violettes, coucous, pâquerettes, boutons d’or, marguerites... Il aime aussi les nombreux arbustes qui s’étalent dans un savant désordre, les camélias, rhododendrons, seringats, cytises … et les azalées d’un rouge flamboyant, en ce moment. Très proches, se dressent de beaux arbres qu’il a plantés il y a 40 ans, magnolia, tilleul, charme, érable dont il profite souvent de l’ombre.

 

Le jardin en fleurs au printemps

 

Il n’oublie jamais de faire un tour par le verger d’une cinquantaine d’arbres : cerisiers, pêchers, pruniers, pommiers, poiriers, noyers… mais aussi figuiers, framboisiers, groseilliers... « Quel contentement de voir, jour après jour, émerger après la floraison, l’esquisse d’un fruit qui, en quelques semaines, peut devenir une belle cerise rouge.

Quel plaisir en perspective de consommer des produits totalement bio et de préparer des confitures savoureuses, tout au moins si les oiseaux veulent bien me laisser une petite part ! »

Les fleurs multicolores de tous ces arbres et arbustes illuminent le paysage autour de la maison de février à juillet. Elles dégagent des parfums inoubliables à l’image de celui ensorcelant du lilas qu’il adore. Dans un tel univers, les insectes pollinisateurs, abeilles, bourdons, papillons, syrphes… se déchaînent dans des vols improbables pour cueillir le nectar. Quel bonheur de les voir évoluer !

 

Pierre est aussi passionné par son potager où il cultive, de façon tout à fait naturelle, salades, choux fleurs, courgettes, haricots… mais aussi désherbe, ce qu’il apprécie moins ! « Je ne passe pas un jour sans y intervenir pour semer, arroser… et récolter juste avant de cuisiner ou tout simplement pour voir comment ça pousse ! C’est pour moi un vrai plaisir qui me rappelle le temps passé avec ma grand-mère qui m’a appris la culture de base du jardinier. »

Quel travail doit générer toutes ces plantations pour un homme simplement équipé d’outils manuels et d’une tondeuse tractée, lui dis-je ? « Moins qu’il y parait » me répond-il, « de huit à dix heures par semaine, par petites séquences, ressenties comme un exercice physique régulier dans une atmosphère plus sympa qu’une salle de gym ! » Limiter le temps d’intervention suppose une organisation et de l’anticipation. S’investir à temps sans se laisser déborder, limiter les tontes à quatre ou cinq interventions annuelles, plus fréquentes sur la partie proche de la maison mais seulement une fois par an dans le secteur boisé.

 

Concert du soir

À chaque étape, Pierre fait une halte sur un des nombreux rondins en bois, adossés à des arbres, aux quatre coins du terrain comme autant de sites d’observation. « J’examine attentivement la nature qui m’environne mais le plus souvent mon esprit s’évade. Dans cette oasis de nature, au bout de quelques jours, grâce à mon jardin, je deviens plus patient. Je mesure l’importance de la nature dont tant de gens ne peuvent profiter en ces jours difficiles. Je m’interroge aussi pour savoir comment mieux la sauvegarder au niveau de la planète.

Dans cette position assise et parfois en m’abandonnant dans l’herbe, je me livre à la réflexion voire à la rêverie. Le bruissement du vent dans les branches, le soleil qui prédomine dans ces jours malheureux, dans un magnifique ciel bleu, m’inspire. Serais-je devenu sage ? »

Tout à coup, alerté par leurs cris, Pierre observe le mouvement des oiseaux qui s’activent autour de lui. Un couple de mésanges, qui a fait son nid sur une poutre de la terrasse, va et vient pour apporter, à tour de rôle, de la nourriture à leurs petits. Plus loin, un magnifique duo de huppes plus farouches, s’activent avec leur long bec pour attraper dans le sol un vermisseau. Puis dans un concert du soir où se mêlent mille oiseaux, le chant vibrant des merles s’impose. Ils s’interpellent et se répondent, à moins qu’ils s’affrontent pour s’imposer auprès de leurs favorites.

Que de choses à découvrir, dans ce jardin aux nombreuses trouvailles, pour peu qu’on prenne le temps de les observer. Le confinement aurait-il quelques vertus !

 

Texte et photos de François Bergougnoux