Fer Émeraude

À la découverte d'un des derniers ferronniers d'art de Bordeaux !

 

Talence, une belle journée d’automne ensoleillée ! Deux chaises sont installées sous un arbre du parc de Peixotto, c’est l’heure de la pause-déjeuner. Pierre Guillebeaud reçoit L’Observatoire. L’atelier de Pierre, Fer Émeraude, est en effet engagé pour la restauration de toutes les grilles du parc ainsi que des portails, très négligés depuis leur installation et profondément rongés par la rouille. Travail fastidieux, en plein air, loin bien sûr de la forge mais il faut bien commencer par éradiquer la rouille avant de restaurer. Le chantier doit durer un an.



 

Photo atelier Fer Émeraude
Photo atelier Fer Émeraude

Une entreprise familiale

Pierre Guillebeaud est ferronnier d’art dans le quartier des Chartrons où il a créé, en 1988, l’atelier Fer Émeraude. Son travail repose encore sur les mêmes gestes depuis plusieurs générations. Dans l’atelier où règne une ambiance plutôt bohême, il martèle, étire le fer chauffé dans une forge au charbon pour créer des courbes, des volutes ou des arabesques. Il transforme, modèle le fer rouge, telle une sculpture. Il dompte le métal pour fabriquer des objets d’art ou des ornements architecturaux.  

Aujourd’hui c’est toute la famille qui est mobilisée : les deux fils de Pierre sont également du métier. Formés par leur père dans l’atelier et à l’école des compagnons du devoir de Périgueux, ils savent comme lui métamorphoser un banale et rigide barre de fer en une élégante arabesque : 3 années au moins de formation sont nécessaires pour réaliser ce miracle ! La femme de Pierre est également très investie dans l’entreprise : réception des clients, des visiteurs, devis et livraisons.

 

Marin et forgeron

Pierre et ses fils sont les héritiers d’une longue histoire bordelaise. Il suffit d’une flânerie dans la ville pour observer la richesse des objets de ferronnerie : rampe d’escalier, porte de vestibule, rambarde, portail, grille, heurtoirs, balcons, la plupart sont du 18 siècle comme l’architecture.

Bordeaux, ville portuaire, avait ses marins forgerons. À la belle saison, ils pêchaient mais ils forgeaient également sur les bateaux des hameçons, coupe-baleine, poulies, chaînes et couteaux. Et l’hiver, ils travaillaient dans les ateliers de ferronnerie pour embellir les hôtels particuliers des armateurs.


 

C’est tout un art

Du heurtoir au portail finement ouvragé, le ferronnier d'art est maître dans l'art de fabriquer des éléments de décoration. Doué d’un vrai sens artistique, il réalise des copies de pièces anciennes ou restaure des objets usés par le temps mais Pierre est un artiste, il aime créer et proposer à ses clients ses propres dessins. Dans son atelier, les étagères remplies de livres témoignent de sa volonté de se cultiver, de s’imprégner des styles des différentes époques, des savoir-faire des anciens. Et on trouve dans les archives bordelaises tous les croquis de toute la ferronnerie d’art de la ville dont les artisans d’aujourd’hui peuvent s’inspirer pour créer une rampe d’escalier un une grille de jardin. Pierre dessine encore à la main comme les ornemanistes du 18 siècle etfaçonne toujours avec des outils manuels  traditionnels comme le chalumeau et l’enclume qui fait résonner le marteau… Mais le métier se transforme. Les designers actuels travaillent avec des logiciels spécialisés et les ferronniers au laser.

 

 

Une leçon de décapage (photo M. Depecker)
Une leçon de décapage (photo M. Depecker)

Un métier menacé ?

Aujourd’hui les plus grosses commandes adressées à l’atelier Fer Émeraude proviennent des institutions, des communes ou des châteaux, pour de la restauration de monuments historiques comme les grilles du Jardin public, le portail principal du Parc bordelais, le lutrin en fer forgé de la cathédrale Saint-André ou bien aujourd’hui celle des grilles du parc de Peixotto à Talence. Ces chantiers font heureusement vivre l’entreprise. D’autre part, comment transmettre cet art quand il existe peu d’écoles pour former les futurs artisans et peu d’ateliers pour prendre des apprentis ? Sur le chantier de Talence, quatre jeunes secondent le maître ferronnier tout en apprenant quelques rudiments du métier. Ils suivent un parcours d’insertion grâce à l’association Réagir. Pour eux, le chantier est éducatif, il leur permet de découvrir un métier. Pierre Guillebeaud saura-t-il les convaincre de la beauté du geste ?

 

Marie Depecker

 

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