Sculpteur de lumière

Nacer Bouleknater souffle le verre comme autrefois mais pour réaliser des enseignes et des œuvres d’art avec des néons : spécialité rare et méconnue.

(Photos de Marie Depecker)

 

Objet familier, le tube lumineux au néon éclaire encore garages et cuisines, ateliers ou plateaux de télévision. Inventé en France il y a une centaine d’années, il n’est pratiquement plus fabriqué ici aujourd’hui, délocalisation industrielle oblige. Mais Nacer veille, avec son épouse, dans le petit village de Cérons en Gironde, à la survivance de ce savoir-faire. 


Passion d’enfance

Dans les rues de Paris, enfant, il était déjà fasciné par le clignotement vert et lumineux des croix de pharmacie. Plus tard, formé par des maîtres verriers parisiens, il confirme son goût pour la lumière en travaillant pour des fabricants d’enseignes, des réalisateurs d’émissions de télévision comme Taratata, Le Millionnaire ou des créateurs de défilés de mode comme celui de Dior ou de Lagerfeld. Moduler des petits tubes de toutes les couleurs pour dessiner des lettres de lumière ou des formes abstraites, c’est devenu le métier et la passion de Nacer. Pour être en contact direct avec les clients, de salarié, il est devenu maître à bord en créant son entreprise Néonlight, d’abord en Bretagne puis en Gironde où il avait de la famille.

 

Du sur mesure

Il faut d’abord concevoir et dessiner le projet : un mot, une forme, une couleur, une taille de tube. Les clients ont le choix entre 47 coloris, des tubes très fins ou plus larges, en pyrex ou en cristal plus fragile mais qui offre une lumière plus vive, du néon ou de l’argon, même gaz mais l’un est plutôt rouge et l’autre bleu.

Tout est mis au point avec le client, et l’épouse de Nacer propose un devis. Ainsi récemment, un particulier a commandé une décoration façon Juke box, le restaurant bordelais La petite gironde, des lettres géantes pour son enseigne. Et lors de la dernière Nuit Blanche parisienne, Nacer a illuminé le pont Alexandre III et le philosophe Luis de Miranda lui a demandé d’illustrer son livre L’être ou le néon.


Maître du tube

Dans le petit atelier, tout est là pour la démonstration. Les flammes bleues de la rampe à feu sont minutieusement réglées pour chauffer le tube. Nacer le tient délicatement des deux mains. Quand il juge qu’il est suffisamment élastique, d’un geste souple, il le lance en l’air pour le tordre et lui donner une forme particulière. Impressionnant ! Pour le néophyte, cela ressemble à un tour de magie. Il peut le souffler également, pas trop fort car le tube gonfle mais pas trop faiblement pour ne pas l’aplatir. Pour obtenir exactement la forme souhaitée, Nacer alterne chauffe, souffle et torsion. Il donne l’impression d’être toujours maître du tube. Les parois ne doivent pas se toucher, sinon c’est la casse immédiate ! Ne pas se brûler, ne pas se couper, la concentration est de tout instant. Pour fabriquer les lettres, formes plus simples et moins fantaisistes, l’artisan utilise son petit chalumeau.

 

Que la lumière soit

Une fois la forme réalisée et complètement refroidie, toujours avec le feu pour ramollir le verre, Nacer soude les deux électrodes puis aspire avec une pompe toutes les impuretés afin de réaliser le vide parfait à l’intérieur du tube. Il peut alors introduire un peu de mercure et injecter le gaz qui donnera la lumière. C’est fini. L’artiste est satisfait, la couleur est parfaite.

Environ trois heures de travail pour faire un mot de trois lettres comme ART d’environ 40 cm de haut, plus d’une journée pour une enseigne de magasin. Économe d’énergie, solide, durable (17 ans pour une lampe bien faite) le tube de néon est en grande partie recyclable* ce qui n’est pas le cas des serpentins lumineux chinois, de plus en plus utilisés aujourd’hui par les commerçants.

Reviendra-t-il à la mode ? Le goût des consommateurs pour le style des années 70 est un espoir. La créativité de Nacer ne demande qu’à s’exprimer. Il espère réaliser bientôt un mammouth en tubes fluorescents pour un artiste qui devrait animer les rives de la Garonne.

Marie Depecker

décembre 2012 


* interdiction de le jeter dans les poubelles d’ordures ménagères à cause du mercure