De fer et de feu

Homme du fer, homme du feu, le forgeron a été un des acteurs du développement humain. Mais connaît-on encore ce métier ?

La forge de Mr Chevalier (photo de D. Guillon)
La forge de Mr Chevalier (photo de D. Guillon)

Il y a plus de sept mille ans, après avoir domestiqué le feu, les hommes ont eu l'idée de façonner le fer. Le métal chauffé et martelé s'est fait armes, récipients, outils et bijoux.

Symbole de force et de puissance mais aussi de mystères et d'ingéniosité, le forgeron s'est imposé comme le maître de l'utile et du beau. Il pouvait tout autant créer que réparer.

 

Un peu d’histoire

Au siècle dernier, on trouvait un forgeron par village et en particulier au bord de la Garonne où il forgeait, entre autre, des clous longs et robustes pour construire et radouber les embarcations. Métier de force et de mystère dont les mythologies se sont inspirées, Héphaïstos, le forgeron boiteux en est un étrange exemple tout comme Thor, dieu des éclairs et des orages ou Vulcain, dieu du feu et encore le Japonais Kagutsuchi, le maître des flammes.Métier d'ingéniosité aussi; saviez-vous que dès 1712, un forgeron du Devon, Thomas Newcomen, avait inventé et créé une machine à vapeur ? (Pas tout seul, Denis Papin...) ou qu'en 1779, Abraham Darby avait construit le premier pont métallique (il est toujours debout). Et la bicyclette à pédales, on la doit à un écossais nommé Kirkpatrick Macmillan, en 1838.

L'industrialisation a modifié les façons de faire et de vivre. De nos jours, il n'existe plus de forgerons et pourtant L'Observatoire en a rencontré deux.

Maréchal ferrant

Le premier vit dans un village proche de Bazas. À la retraite depuis plusieurs années, M. Vigneau est resté près de sa forge et de ses outils. Le certificat d'études en poche, il est parti en apprentissage chez un forgeron de la région où il a appris à ferrer aussi bien les mules qui transportaient les billons que les vaches ou les bœufs qui tiraient les charrues. « On fabriquait tout, les fers pour les bêtes, les cercles pour les roues des charrettes et même les araires dont on n'achetait que les socles en fonte. » Ensuite, il s'est installé à Gajac. « On mettait deux mille fers par an », nous raconte-t-il fièrement, « et pourtant on était nombreux ; c'était un dur labeur, sangler la bête dans le travail, lui parer les ongles, marteler le fer rougi pour l'adapter au pied et quand il s'agissait de préparer les taureaux pour le salon de l'agriculture de Paris, on était fier mais pas toujours rassuré. C'était de la belle ouvrage, pour cela il fallait de bons outils : des burins, des marteaux et des lames affûtées et étirées avec soin chaque jour. Trempé dans la braise de la forge, l'acier devait en ressortir rose gorge de pigeon, surtout pas rouge. » Dans ses mots et dans sa mémoire, M. Vigneau est toujours forgeron, et lorsque nous découvrons le travail, la forge, la tuyère, l'enclume ou le burin, ses yeux clairs s'emplissent de souvenirs.

 

Forgeron

Le second, M. Chevalier, nous accueille devant sa forge. « Je vais l'allumer, c'est mon plaisir du matin, j'adore l'odeur du charbon chaud. » Nous y voilà, sous nos yeux la forge, le billot et l’enclume, l'auge avec de l'eau et le mouilleur. Le foyer est empli de noisettes de forge (un résidu de coke), un petit trou au milieu, juste à l'aplomb de la tuyère qui amène l'air et remplace le grand soufflet, un peu de papier, une allumette et le feu apparaît. Peu à peu il embrase les charbons. La flamme monte. Le forgeron rapproche les noisettes, arrose le pourtour et rassemble la gangue, « plus la flamme est haute, plus le cœur du brasier est chaud. » Vite, il enfile son tablier de cuir et plonge une pointerolle émoussée au creux de la forge. La montée en température est très rapide. Le métal ressort bientôt d'un rouge presque transparent. C'est au tour du marteau et de l'enclume d'entrer dans la danse. Un coup d'œil à l'outil réparé, il le trempe dans l'eau, en vérifie l'aspect et si ce n'est pas parfait il recommence. « Ce que j'aime dans mon métier, c'est qu'aucune journée ne ressemble à la précédente. Avec le feu, on peut tout faire, aujourd'hui je répare un outil, demain j'en fabrique un autre. Quand j'ai fait mon tour de France avec les Compagnons, j'ai même forgé la rampe d'escalier d'un Émir. »

La forge de M. Vigneau est déjà éteinte, celle de M. Chevalier suivra. Que restera-t-il des forgerons ? Des souvenirs, une belle image d'Épinal.

 

Dany Guillon

décembre 2012