Karfa Sira Diallo, le célèbre guide au chapeau rond de Bordeaux, est surtout connu comme président fondateur de l’association Mémoires &Partages. Ardent défenseur de l’Histoire, il poursuit sa quête incessante du devoir de mémoire.

Propos recueillis par NicoleCherimbaud

Ses racines africaines sont des empreintes ineffaçables, son engagement puissant. Karfa Diallo plaide sans relâche pour faire reconnaître le passé négrier de Bordeaux et susciter une prise de conscience collective.

L’homme au chapeau rond

Dans Bordeaux, qui n’a pas croisé Karfa Sira Diallo, coiffé de son inséparable chapeau ?

Tout comme Churchill et son cigare, l’homme s’est construit et façonné une image pour véhiculer son message.

Profondément séduit par la culture des jazzmen noirs afro-américains qui portent le chapeau, il adopte ce couvre-chef dès son arrivée à Bordeaux, en 2001.

« Quand on a la mémoire de l’histoire, on a ses références, dit-il. Le chapeau est pour moi, synonyme de classe et de raffinement. C’est un accessoire qui termine la toilette, entretient la galanterie et dépasse les frontières. À la Belle Époque, une période que j’affectionne particulièrement, il est incontournable dans tous les milieux de la société. »

Ce n’est pas n’importe quel chapeau : il les préfère en feutre à bord rond, c’est plus esthétique.

Il les porte partout, quelles que soient les conditions météo, à table, ou dans les commémorations.

Il en possède toute une collection, de couleur noire, marine ou marron foncé, mais s’est vite aperçu que cela prend une place énorme et avec la maturité, il n’en conserve que trois.

 « J’y suis toujours attaché mais ça ne m’est plus indispensable. Je ne fréquente pas les chapeliers ; je préfère les dénicher dans les vide-greniers ou les dépôts-vente. Ils ont un vécu, des histoires et font la connexion entre hier et aujourd’hui. » Tout comme sa quête.

Des quartiers de sucre aux Chartrons créoles

Son engagement démarre dès son enfance au Sénégal. Au lycée, il devient délégué de classe, pour défendre les conditions de vie scolaire et combattre la colère qu’il ressent, proche d’une sorte de syndicalisme étudiant.

Rapidement, il se sent responsable et renforce son engagement d’abord à l’Université de Dakar en droit public, puis en Sciences Politiques à Bordeaux qu’il rejoint à l’âge de 25 ans.

Karfa Sira Diallo observe que la ville de Bordeaux a un fort lien avec le Sénégal et touche du doigt ce qui fait mal : la question du passé africain de Bordeaux au 18^e siècle est taboue, soigneusement tue.

Dans les années 2000, il fonde une association pour la défense et la réhabilitation de la mémoire de la traite des noirs et de l’esclavage. Les actions menées aboutissent à la création de l’association Mémoires et Partages qu’il dirige pendant 15 ans.

En 2012, en partenariat avec la ville, il conçoit un programme pédagogique de visites où le passé négrier de Bordeaux est mis en lumière. L’homme au chapeau promène et guide les visiteurs à travers quatre parcours de 2 heures.

Ces parcours constituent également six séquences d’un programme destiné aux scolaires.

Au musée d’Aquitaine, pour faire vivre l’Histoire, Karfa Diallo a été un des artisans de l’aménagement des 4 salles dédiées à la traite des noirs et au colonialisme. Le visiteur découvre l’organisation du commerce maritime avec des maquettes de bateaux et des objets de navigation. Il apprend les conditions de vie dans les îles à sucre et partage les réflexions sur les conséquences de l’esclavage dans la société.

Depuis 20 ans, cet engagement pour faire reconnaitre ces crimes contre l’Humanité est maintenant une victoire.

En passant par l’Atlantique

L’homme est totalement reconnu et Bordeaux a fait son devoir de mémoire. C’est une de ses fiertés mais le travail se poursuit. Au niveau national, Karfa Diallo travaille à la signalétique des rues avec les ports de La Rochelle et Nantes, côté Atlantique et Le Havre côté Manche.

En 2010, il contribue à faire voter par le Sénégal, la première loi africaine qui déclare la traite des noirs et l’esclavage, crime contre l’Humanité.

Depuis 5 ans, il organise des expositions documentaires à vocation mémorielle sur des personnalités influentes telles Barack Obama, Nelson Mandela, avec le souhait d’inviter un jour prochain Michèle Obama.

En Nouvelle-Aquitaine, 2018 a été marquée par la création d’un Black History Month*, à l’image de celui créé aux États-Unis en 1976. L’édition 2019 s’ouvre en février avec les interrogations sur les empreintes laissées par Michael Jackson dans la culture mondiale.

Informer et combattre les formes d’exploitation humaines contemporaines, tisser des liens avec les associations maghrébines pour parler du racisme : c’est pour Karfa Sira Diallo un enjeu de citoyenneté avec le droit pour tous d’avoir sa place dans la société.

*Black History Month : mois de l’histoire des Noirs célébrée en février aux États-Unis et au Canada et en octobre au Royaume-Uni

Les 4 parcours proposés par Karfa Diallo

Les 4 parcours proposés par Karfa Diallo dans Bordeaux se déroulent le week-end pour un tarif de 10 euros.

– Cœur de ville conduit le promeneur à travers le quartier Saint-Pierre où diverses institutions organisaient l’esclavage.

– Chartrons créoles fait revivre le quartier qui fut l’entrepôt de l’Europe. Des mascarons avec des figures d’africains ornent les façades place de La Bourse.

– Quartiers de sucre emmène le visiteur de Saint-Michel, aux quais de Paludate à la recherche des raffineries de sucre.
– Les Affranchis, autour de la Basilique Saint-Seurin, rappelle l’époque où des centaines de noirs, originaires d’Afrique ou des Antilles, ont été affranchis, se sont épanouis dans des activités industrielles ou artistiques.

Possibilité d’organiser, sur demande, des visites guidées pour des groupes scolaires (25 personnes maximum).

Possibilité d’avoir, sur demande, des visites individuelles ou en famille tous les jours de la semaine, horaires au choix.