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Reporters de guerre

Au-delà d'une carrière pleine d'action, loin du conformisme du journaliste habituel, la vie sur le terrain peut basculer et se transformer rapidement. Le mémorial de Bayeux rappelle, qu’à ce jour, 2 290 journalistes sont décédés depuis 1944 dans l'exercice de leur fonction.

Cette année encore, de nombreux journalistes, photographes de guerre ont payé un lourd tribut à leur profession, otages ou tués parce que représentants de pays honnis par leurs ravisseurs. Qui sont ces hommes particuliers, quelque peu baroudeurs, prêts à mettre leur vie en danger pour recueillir des informations libres ?

 

Le mythe du reporter de guerre

Le mythe débute avec la guerre d'Espagne, se développe avec celle du Vietnam, et une abondance d'articles de presse et de photos qui inonde les journaux, comme celles de Life sur la guerre d'Espagne en décembre 1938. Ceux qui couvrent ces conflits furent longtemps des aventuriers, courageux, intrépides, des hommes de conviction, mus par leur idéal et n'ayant pas de doutes dans leur engagement. Robert Capa, photographe, correspondant de guerre, est celui qui incarne le plus ce mythe. Hongrois d'origine, il couvre les plus grands conflits après avoir fui successivement son pays pour l'Allemagne, puis celle-ci à cause du nazisme. Profondément engagé politiquement contre tous les fascismes, du côté républicain dans la guerre d'Espagne, il immortalise le conflit. Le mythe Capa « mort d'un soldat républicain » lui forge sa légende. Par la suite, ses photos, lors du débarquement allié en 1944, font le tour du monde. Son témoignage est humaniste, ses émotions sincères face aux souffrances, il dit « si vos photos ne sont pas bonnes, c'est que vous n'êtes pas assez près » Il meurt en Indochine tué lors d'un reportage au côté de l'armée française. Un autre homme de la même veine, Hemingway, écrivain, correspondant de guerre, s'est toujours investi, d'abord lors de la première guerre mondiale, comme ambulancier, avec la Croix Rouge italienne. Il a fait partie de cette génération perdue d'américains engagés revenus terriblement désabusés, sceptiques quant aux notions de gloire, de patrie face aux horreurs des combats. Pourtant, les plaies refermées, il repart couvrir la guerre d'Espagne du côté républicain. Il s'en inspirera pour écrire un de ses plus emblématiques romans Pour qui sonne le glas. Lorsqu’éclate la seconde guerre mondiale, il prend tout de suite partie contre l'Allemagne nazi et suit l'armée américaine en 1944 lors du débarquement.

 

L'envers du mythe

Un film documentaire choc, Under Fire (Sous le feu) montre la face cachée du reporter de guerre, une personne qui ne vit que pour l'adrénaline dans le conflit, complètement déconnectée de la vie réelle, souffrant pour certains de névrose traumatique et bien loin du cliché du témoin humaniste des atrocités de la guerre. D'autres comme JP Perrin de Libération refuse l'image « du journaliste cynique et blasé », il veut témoigner des horreurs vécues par les populations, pour que « l’opinion publique puisse influencer les politiques » Souvenons-nous des photos prises lors de la guerre du Vietnam qui ont précipité la défaite américaine. Alors, ces reporters sont-ils devenus des témoins actifs, passifs, essayant d'avoir un regard lucide ? Un film La déchirure (selon une histoire vraie) décrit la situation du Cambodge avant puis pendant le règne des Khmers rouges, au travers de deux journalistes américain et cambodgien. Un éclairage brut de leurs motivations différentes, donner des informations libres non censurées par l'armée pour faire la Une, arrières pensées pour un prix, rester ou pas pour le cambodgien et une position ambigüe de l'américain sur cette prise de risque. Et que dire encore de cet amour du risque ? Le plus grand photographe actuel, si l’on en croit ses confrères, Don Mac Cullin dit « Avant le Biafra, j'étais un peu junkie à l'adrénaline du conflit, ce reportage m'a dégrisé, je considérais ma vie à l'époque comme une aventure passionnante. » Remise en question totale, il s'était trompé, il n'était pas ce qu'il croyait « un individu et photographe d'un grand courage. » Dès lors, il témoigne quelque fois d'une certaine honte à « être témoin de tant d'inhumanité. »

Comment dépasser sans traumatisme les photos prises ? L'essentiel n'est-il pas de restituer une situation vraie ? Alors, même si les images sont choquantes, si elles permettent l'évolution de l'opinion publique pour faire cesser une guerre, le but peut être atteint.

Martine Lapeyrolerie