Un avenir radieux?

Le bureau de Jacques Chaban-Delmas à la mairie de Bordeaux
Le musée d’Aquitaine a inauguré le 6 mai 2025 une exposition consacrée à la période immédiate après la Seconde Guerre mondiale.
À l’occasion des 80 ans de la fin de la Seconde Guerre mondiale et alors que le bruit des bottes se fait à nouveau entendre en Europe, le musée Jean Moulin présente, au musée d’Aquitaine, une exposition Le monde d’après, 1944-1954. Des lendemains qui chantent ? Elle est constituée d’objets et de meubles représentatifs de cette époque, d’affiches, de documents d’archives et d’images inédites, sans oublier la reconstitution de lieux emblématiques.
Des logements confortables
Tout au long de sa déambulation, le visiteur est accompagné par des chansons françaises illustrant les préoccupations et les espoirs des Françaises et des Français dans ces années-là. On peut citer entre autres : Au bar-tabac du coin, de Zappy Max, Petit papa Noël, de Tino Rossi, Gare au gorille, de Georges Brassens ou encore On n’est pas là pour se faire engueuler, de Boris Vian. Un jukebox américain de 1954 témoigne des goûts de la jeunesse de cette époque.
L’exposition débute par l’évocation de la Libération de Bordeaux le 28 août 1944, lorsqu’à l’aube, 10 000 maquisards des Forces françaises libres entrent dans la ville.
Comme partout ailleurs, Bordeaux retrouve des logements surpeuplés et souvent insalubres, quand ils n’ont pas été détruits. La reconstitution du bureau d’un ingénieur du Ministère de la reconstruction et de l’urbanisme (MRU) témoigne de l’ampleur des travaux accomplis. De grands quartiers résidentiels voient le jour, comme La Benauge ou Bacalan. Les familles modestes découvrent, pour la première fois, des logements bénéficiant du confort : plusieurs chambres, cuisine équipée, salle de bain…
Des libertés nouvelles
Les ordonnances de mai et juin 1944 rétablissent la liberté de la presse. Les journaux collaborateurs comme la Petite Gironde disparaissent. D’autres naissent comme L’Équipe ou Elle. À Bordeaux, c’est Sud Ouest, créé au lendemain de la Libération et imprimé sur les presses de La Petite Gironde, qui est le plus lu.
Le Conseil national de la Résistance, réuni par Jean Moulin en 1943, regroupe les partis politiques, les syndicats et les mouvements de Résistance. Il décide que, la paix venue, il faudra garantir « un plan complet de Sécurité sociale visant à assurer, à tous les citoyens, des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail. » À la Libération, elle est mise en place en moins de deux ans, avec l’assentiment des différentes forces politiques et dans le droit fil des caisses de solidarité imaginées avant la guerre.
Pendant la guerre à Londres, des Françaises incorporées dans les Forces françaises libres ont côtoyé des Anglaises qui votaient depuis 1918. Des femmes ont également participé activement à la Résistance en France. Aussi, le Comité de libération nationale décide, par ordonnance du 21 avril 1944, de l’égalité des hommes et des femmes pour le droit de vote. Ce qui est effectif le 29 avril 1945 pour les élections municipales. Cette avancée démocratique majeure est matérialisée par la présence d’un isoloir.
Le baby-boom
Portée par la mode américaine, emblématique de l’après-guerre, la cuisine en bois mélaminé coloré rouge ou orange, plus connu sous le nom de la marque « Formica », matérialisée par les éléments présentés, fait une entrée remarquée dans les logements. Comme pour les vêtements d’alors, des couleurs criardes et joyeuses sont utilisées. Plus tard, Jean Ferrat chantera dans la chanson « La Montagne » : « Depuis longtemps, ils en rêvaient/De la ville et de ses secrets/Du formica et du ciné. »
Pourtant, la pénurie est toujours là. Les tickets de rationnement seront en vigueur, pour certaines denrées, jusqu’en 1949. Jouxtant la cuisine, la salle à manger, autrefois réservée aux familles aristocratiques et bourgeoises, apparaît dans les appartements modernes. On y trouve généralement une horloge et une radio qui occupe une place importante pour la diffusion des informations et des divertissements. Les premiers postes de télévision prennent place peu à peu chez les gens aisés.
Dès 1943, le nombre de naissances explose, plus de 800 000 en 1946, soit 30 % de plus que les années précédentes. En 1954, une personne sur trois a moins de 20 ans. La protection de l’enfance est un enjeu de politique publique, qu’il s’agisse de campagnes de vaccination contre la tuberculose ou du développement des centres aérés ou encore de la politique de prévention contre les violences familiales liées à l’alcoolisme. Pour illustrer ces propos, une salle à manger ainsi qu’une chambre de bébé sont reconstituées.

Une évocation des nombreux procès dès 1944, auxquels ont échappé plusieurs hauts fonctionnaires
Une justice laxiste
À Bordeaux, lors des élections municipales de 1947, un résistant devient maire à la place d’un autre : Fernand Audeguil cède son fauteuil à Jacques Delmas alias Chaban qui le conservera jusqu’en 1995, dont la table bureau à la mairie est présentée.
En France, la IVe République naît en 1946, son fonctionnement est chaotique. Deux présidents vont se succéder pendant la période : Vincent Auriol de 1946 à 1954 et René Coty de 1954 à 1958. Lors du référendum du 28 septembre 1958, une nouvelle Constitution est adoptée et la Ve République officiellement proclamée le 4 octobre 1958.
Dès 1944, des tribunaux d’exception agissent, le plus urgent est de rétablir le fonctionnement normal de la justice. Mais les magistrats échappent massivement à l’épuration de la Libération. Les cadres des administrations sont rarement sanctionnés. Ainsi, Maurice Papon, secrétaire général de la préfecture de Gironde, poursuivra une longue et belle carrière administrative jusqu’à sa condamnation, en 1998, pour complicité de crimes contre l’Humanité.
Adrien Marquet, maire collaborateur, est condamné, en 1948, à 10 ans d’indignité nationale, mais sort de prison. L’évocation de ces procès est assurée par la reconstitution d’une salle de tribunal.
La place de l’Europe
En 1946, le Commissariat au plan est créé ; il a pour but le rapprochement avec l’Allemagne. Les accords sur l’énergie et les matériaux débouchent, en 1952, sur la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier. Les prémices d’une Europe politique et économique sont ainsi posées. En 1952 également, un projet de Communauté européenne de défense dotée d’une armée intégrant des troupes allemandes est rejeté par la plupart des partis politiques.
Cette exposition met en lumière cette période souvent méconnue mais importante de notre histoire. La reconstruction est en bonne voie, l’économie, malgré des soubresauts et toujours des différences entre les gens, apporte des conditions de vie matérielles améliorées.
Chacun était alors en droit de penser que l’avenir ne pourrait être que joyeux, que les lendemains ne pouvaient que chanter. Hélas, après 80 ans de paix en Europe, une guerre déclenchée par un tsar qui veut reconstituer l’Union soviétique (n’a-t-il pas déclaré : « La chute de l'URSS a été la plus grande catastrophe géopolitique du siècle. »), nous oblige à penser que notre avenir ne sera sans doute pas aussi radieux que nous l’avions imaginé.
Roger Peuron