De Bosse en Beauce
La différence suscite des réactions contrastées, de la curiosité à l’indifférence, de l’attirance au rejet, de l’empathie à la condescendance. Une chose est certaine, on ne peut éviter le regard des autres.
S’appeler Quasimodo et souffrir de la même malformation que le héros hugolien, ce n’est pas une sinécure. Le vivre dans un village de 700 âmes peut s’avérer difficile. Ce colosse a bien voulu s’exprimer sur ses joies et ses peines à Bourbon-en-Beauce, près de Chartres.
La valse des boss
« Enfant abandonné, j’ai été recueilli par le père Frollo, curé du village, mais mon mentor est Monsieur Victor, un des gros propriétaires du bourg. Mon handicap ? Selon l’abbé Frollo, je ne serais atteint que d’une légère gibbosité, ça me fait une belle bosse ! Ma scolarité fut brève, je n’avais pas la bosse des maths, Monsieur Victor, lui, a la bosse du commerce, bien des négoces de Bourbon lui appartiennent. On me mit donc au bulot dans la poissonnerie de Gilliat, Les travailleurs de la mer. Le jour de l’inauguration, les costumes à queue de morue se pressaient, les médias se faufilaient comme des anguilles, seiches et calmars avaient le vent en poulpe. Placé dans une ferme, le fauchage d’un champ de luzerne me valut l’attention du gendarme Javert, prêt à sanctionner le faux et usage de faux. Quelques mois comme mitron chez Colette, la boulangère, suffirent à Javert pour me soupçonner d’y transformer le blé en herbe. Lors d’un stage dans la boucherie du village, mes détracteurs baptisèrent Quasimodo, le quasi de veau, spécialité locale, arguant que c’était du zébu, cet animal à bosse.
En fait, mon travail essentiel est toujours celui de bedeau. Le jour de la résurrection de Notre-Dame de Paris, j’ai eu droit à un véritable marathon religieux, quatre heures non-stop de télévision. J’en suis sorti quasi dévot ; chose étrange, il m’a semblé reconnaître le moindre recoin de la cathédrale. Pour fêter l’événement Monsieur Victor nous a offert un repas dans l’unique restaurant du village. J’ai ainsi eu le privilège de voir l’abbé Frollo, homme d’église, se taper la cloche. »
Rires de bossus
« Souvent j’emprunte la trottinette de Gavroche, Esméralda monte derrière moi pour faire Cosette au kiosque à musique. Elle est gentille, Esméralda, elle me rassure et dissipe mes inquiétudes. Elle me parle des autres bossus de l’histoire : “Tu vois Quasi, il y a même des filles de roi, Jeanne et Louise de France, un fou du roi, Triboulet, un poète, Ésope, tellement à fables et puis tous ces héros cabossés : Rigoletto, François le bossu, la Créature de Frankenstein, le Bossu de Paul Féval. À l’évocation de Polichinelle qui n’a plus de secret pour nous ou de la Fée Carabosse, on rit comme des bossus. Notre hilarité redouble dès qu’on aborde la gibbosité du Quasimodo de Notre-Dame. Esméralda, petite brésilienne égarée dans la Beauce a fait son chemin, elle qui ne rêvait que de Bossanova est désormais une petite main qui vit sur un grand pied. Toucher ma bosse lui aura porté chance. Notre promenade se termine généralement au salon de thé Nardier.” Le sport reste ma grande déception, alors que Pierre-Emmanuel Bosse est champion du monde du 800 mètres. Le rugby m’attirait, Monsieur Victor m’a reproché de ne rêver que plaies et bosses. J’avais des dispositions pour le bowling, le père Frollo refuse d’accueillir chez lui un serial quilleur. Je n’avalerai jamais les bosses en écrasant les pédales, et puis, essayez de faire du ski de bosses en pleine Beauce !
J’attends avec impatience la visite de Notre-Dame promise par l’abbé Frollo. Ah, si Esméralda pouvait venir avec nous, mais Monsieur Victor n’aime pas me voir avec des filles…
Sa devise est Il faut rouler sa bosse pour rouler carrosse, boss de Beauce et d’ailleurs peuvent en témoigner. Quasimodo, bossu bosseur s’évertue à l’appliquer.
Mais il se fait tard, il faut que je rentre, je vais me faire sonner les cloches ! Un comble pour un bedeau. »
Claude Mazhoud