Des concerts de folie

Par Marie Depecker

 

Un festival de musique bordelais, imaginé par Raphaël Pichon et son ensemble de musique baroque Pygmalion, propose des expériences musicales hors normes.

 

Le festival bordelais Pulsations revient du 20 juin au 5 juillet 20251 avec toujours de l'audace et de l'inattendu.

Monter des opéras dans une friche industrielle, proposer un requiem dans une base sous-marine, faire dialoguer les musiques... briser les conventions, c'est le pari fou de Raphaël Pichon et de son ensemble Pygmalion. Il crée Pulsations en 2020 à la sortie du premier confinement car « il fallait quitter le temps des lamentations et prendre notre destin en main » assurait-il.

« Produite dans l’urgence, la première édition a été imaginée avec l’objectif de toucher de nouveaux publics, de s’adresser à toutes et à tous, en dénichant des lieux insolites, en mélangeant les genres. Le succès a été au rendez-vous, un vrai miracle. » explique Mathilde Assier, responsable de la communication de Pygmalion.

 

Prise de risque

« J'avais besoin d'expérimenter de nouvelles formes, d'un laboratoire, de faire un pas de côté hors les murs, sans les contraintes habituelles de l'institution. » expliquait Raphaël Pichon lors de la première édition du festival. Il souhaitait explorer des nouveaux lieux pour sortir la musique classique, et l'opéra en particulier, de sa zone de confort, le Grand-Théâtre en l'occurrence, sans négliger l'acoustique mais en choisissant des œuvres en résonnance avec les bâtiments.

« Un rendez-vous comme Pulsations est, selon moi, l’occasion de redéfinir ce qu’est un festival : un lieu de tous les possibles. Un lieu où l’on peut se jeter dans le vide, où la prise de risque peut être maximale. Un lieu où l'on peut questionner à la fois la forme de notre art, la physionomie d’un public, et bien sûr tenter d’en convaincre un nouveau », affirmait Raphaël Pichon. Et cette année encore, il annonce : « des concerts complètement fous ».

Mathilde Assier confirme : « Depuis 2020, Pulsations a fait éclore des concerts, spectacles et opéras dans des espaces inattendus et fait vivre aux auditeurs des expériences immersives, physiques et sonores. Le festival a ouvert ainsi de nouveaux champs d’écoute. Les programmes proposés sont parfois méconnus et la mise en lumière de ces répertoires peut surprendre. »

La base sous-marine et la Halle 472 sont de très bons exemples de lieux non conçus pour la musique dont l’acoustique est cependant particulièrement intéressante. Ils permettent des expériences de déambulation dans de vastes espaces, très fortes en émotion.

C'est en 2021 que l'ensemble Pygmalion investit pour la première fois la base sous-marine bordelaise pour interpréter le Requiem allemand de Johannes Brahms. Entre 1941 et 1943, l'occupant nazi avait fait construire, par des prisonniers, à Bacalan, ce lieu de mort. Raphaël Pichon avait trouvé la Base particulièrement adaptée pour rendre hommage à Brahms, grand humaniste dont l'œuvre avait été récupérée par les nazis.

Plongés dans la pénombre, les spectateurs étaient invités à déambuler entre les bassins aux côtés des chanteurs et des pianistes avec leur piano sur roulettes. Intrigués puis bouleversés par cette expérience immersive, « beaucoup sont ressortis en larmes à la fin du spectacle, submergés par l'émotion » se souvient Mathilde Assier.

 

 

Dans la base sous-marine, les chanteurs, dont la soprano Sabine Devieilhe sont acclamés par les spectateurs émus parfois jusqu'aux larmes

Béton et acier

Cette année encore, le festival invite dans ce lieu de mémoire les 20 Sonneurs d'Erwan Keravec pour interpréter et faire vibrer In C, l'œuvre polyphonique, minimaliste et répétitive de Terry Riley.

Les spectateurs seront invités à intégrer le cercle formé par les cornemuses des Sonneurs. « Ce sera un concert de folie ! » s'exclame Mathilde Assier.

En 2023, Raphaël Pichon, toujours en quête d’endroits insolites et propices à surprendre le public, sillonne la métropole. On lui parle de la Halle 47 à Floirac, il a le coup de foudre. Au cœur des chantiers d'Euratlantique, non loin de la Garonne, cette halle est une ancienne usine d'assemblage du chemin de fer français. Raphaël Pichon va transformer cette nef désaffectée de béton et d'acier en scène éphémère, à l'opposé d'une salle d'opéra traditionnelle. Il en fait l'écrin de la tragique histoire d'amour d'Orphée et Eurydice de Glück.

Pour le public entrant dans la Halle, tout commençait par les noces joyeuses d'Orphée et d'Eurydice où artistes, musiciens et spectateurs se mêlaient et fêtaient cet heureux événement, cocktail à la main. Puis c'était le drame, le public découvrait sur le sol en béton le cadavre d'Eurydice et allait partager le deuil d'Orphée sous cette immense voûte métallique.

À la fin du spectacle, les spectateurs ont acclamé les artistes à tout rompre alors que beaucoup n'avaient pris leur place que la veille, attirés par le bouche-à-oreille.

 

 

Arrivée du couple Orphée et Eurydice pour leur fête de mariage au milieu des chanteurs et spectateurs en prologue de l'opéra mis en scène par Eddy Garaudel

 

Sans frontières

Cette année, pour la 4° édition de Pulsations, la Halle 47 accueillera de nouveau un opéra, un chef d'œuvre méconnu du XXe siècle : La Passion grecque du compositeur tchèque, Bohuslav Martinu.  

Inspirée du roman Le Christ recrucifié de Nikos Kazantzákis, l’œuvre explore des thèmes universels comme la peur de l’étranger et la manipulation des foules. Lorsque des réfugiés, chassés de leurs terres, demandent asile, les habitants ont peur. La méfiance et les rumeurs s’installent jusqu’à l’irréparable.
Mais La Passion grecque n’est pas qu’un drame. C’est une œuvre lumineuse et profondément humaine qui résonne avec l'actualité et que le public va découvrir dans cette fameuse Halle 47.

Pour interpréter cet opéra, Raphaël Pichon pratique encore un mélange inattendu : il va faire chanter son chœur Pygmalion avec des ensembles vocaux amateurs ou semi-amateurs de Gironde dont le Chœur voyageur et la Java.

Bien sûr, le festival propose des concerts dans des lieux plus conventionnels, mais pour transcender les frontières entre les genres musicaux qui s'ignorent le plus souvent. Par exemple, dans l'Auditorium, sera mis en scène cette année l'opéra-ballet baroque de Jean-Philippe Rameau, Les Indes galantes avec une compagnie très contemporaine de danse hip hop. Étonnante, la fusion de ces deux univers.

Et pourquoi ne pas faire de la musique avec les mots plutôt qu'avec des notes. C'est ainsi que, dans l'église Notre-Dame, les spectateurs pourront, avec un casque sans fil, se plonger dans l'univers chanté, murmuré, crié ou chuchoté de Luciano Berio. Il les invite à son « théâtre d'oreille ».

Enfin, pour aller à la rencontre de nouveaux publics qui souvent ne fréquentent pas les lieux traditionnels de concerts, les Kiosques Pulsations, gratuits, donnent carte blanche aux musiciens de Pygmalion qui se déploient dans des lieux très variés : zone commerciale, établissements scolaires, EHPAD, hôpital, salles des fêtes… De la musique vivante partout, pour tous, avec de l'audace et de l'inattendu.

 

1 Programme et billetterie sur le site

pulsations-bordeaux.com

 

2 Halle 47, chemin Richelieu à Floirac